LA GRÈVE DE ROANNE
Après près de deux mois de lutte, comme à Bessèges, comme à Villefranche, les ouvriers tisseurs de Roanne sont vaincus par la coalition patronale.
Courbant la tête sous le poids de la défaite, ils sont rentrés dans l’usine. La faim a eu raison encore une fois de la révolte de ces parias modernes. La solidarité de tous les travailleurs n’a pu avoir raison de onze capitalistes.
Les privations endurées par 3.000 familles ouvrières n’ont rien servi, sinon que rendre, peut-être, plus lourde la tâche journalière qui leur est imposée par leur possesseur.
Quelle leçon pour ceux qui parlent sans al cesse d’entente entre le travail et le capital, de modération, d’opportunité, etc., s’ils sont de bonne foi, ne reconnaîtront-ils pas qu’il est inutile de discuter avec les propriétaires d’esclaves, qu’il est inutile de rechercher une entente entre le capital et le travail, qu’il est inutile et nuisible de laisser supposer aux prolétaires qu’en dehors de leur action propre, action révolutionnaire, il ne peut y avoir amélioration ou transformation.
Pour nous, socialistes révolutionnaires, qui ne voyons dans la grève qu’un moyen de lutte, nous dirions presque un exercice devant aguerrir les soldats de la Révolution, nous sommes certain que la grève de Roanne portera ses fruits.
Elle a démontré que les capitalistes préfèrent laisser mourir de faim leurs ouvriers que de retrancher une seule parcelle de leurs bénéfices, elle a démontré que le moment approche où les travailleurs se révoltant enfin contre l’exploitation qu’ils subissent, commenceront d’abord à faire disparaître leurs exploiteurs, ce qui permettra de s’entendre avec eux ensuite. La preuve de ce réveil, ou plutôt de cette rentrée en ligne de l’action révolutionnaire remplaçant la discussion, se trouve dans l’attentat du citoyen Fournier. Brisé, anéanti par les privations de toutes sortes, il allait reprendre son collier de misère en échange du morceau de pain.
Durement le garde-chiourme le repousse.
Il a été délégué à la commission de la grève. Il est intelligent, dévoué, il a eu la confiance de ses collègues (triple crime que le Code ne punira pas aujourd’hui mais que les patrons puniront), l’atelier est fermé. C’est la faim ! c’est la mort !
L’idée de la vengeance germe en lui, la misère des travailleurs de Roanne pendant deux mois de grève, l’opulence des onze exploiteurs, leurs orgies, leur dédain pour ceux qui les enrichissent, tout contribue à armer son bras pour venger ses compagnons de travail et de misère.
Un des onze patrons, le nommé Bréchard, personnifie tous les vices, tout l’orgueil de la race capitaliste. C’est sur lui qu’il veut venger l’humanité outragée, et fait feu sur Bréchard, il ne l’atteint pas.
Il est entouré, arrête, emprisonné; dans quelques jours il sera jugé et la Nouvelle-Calédonie aura un habitant de plus.
La société actuelle aura remporté une victoire sur ses adversaires. A l’annonce de cette soi-disant tentative d’assassinat, qui n’est pour nous que la révolte naturelle de l’oppressé contre l’oppresseur, la presse bourgeoise n’a pas eu assez d’insultes pour le citoyen Fournier, pour cet assassin dit-elle, dont les mauvaises lectures, les passions ont armé le bras. Le capitaliste victime de cet attentat a toute leur sympathie.
Bravant les préjugés, nous disons hautement que nous ne regrettons dans cet attentat que deux faits, le 1er qu’il ne soit pas fait au début de la grève, le 2e qu’il n’ait pas réussi.
Nous regrettons qu’il ne se soit pas fait d ,u début de la grève, — Celui qui écrit ces lignes a participe à l’organisation de plusieurs grèves, ce qui lui permet d’en parler avec connaissance de cause, — car nous sommes convaincus que les satisfaits du jour n’obéissent, quand il s’agit de céder une part de leur bien être aux travailleurs, qu’à un sentiment qui est celui de la peur, l’on ne peut nier que si le jour où les onze Exploiteurs Roannais refusaient de discuter avec leurs ouvriers, la tentative d’exécution s’était faite, les bourgeois se seraient trouvés plus conciliants, surtout si la tentative avait réussi. Nous savons bien que l’humanité, que la justice, demande plutôt à la discussion qu’à la force pour établir l’entente entre les êtres humains. Mais un capitaliste est-ce bien un être humain ? Oui évidemment parla forme, mais par le rôle qu’il remplit dans la société n’est-il pas plutôt un être nuisible, la société ne devrait-elle pas être composée d’êtres participant aux charges sociales d’êtres produisant puisque tous consomment, est-ce donc cela qui existe, les uns produisent et ont les misères, les autres ne produisent rien et n’ont que des plaisirs.
Nous croyons donc que ces derniers sont des bêtes fauves qu’il faut détruire en leur enlevant leurs privilèges mais en attendant la Révolution qui fera disparaître ces privilèges, qui constituent la classe capitaliste, nous applaudissons a toutes les tentatives faites contre leur personne. C’est. pour cela que le Citoyen Fournier a toutes nos sympathies, car suivant nous il a bien mérité de la Révolution.
Le Droit social 2 avril 1882
Lire le dossier : Pierre Fournier de Roanne, premier propagandiste par le fait. 24 mars 1882