Du 24 mars 1882

Tribunal de première instance de l’arrondissement de Roanne

Chambre d’instruction

Procès-verbal d’interrogatoire

L’an 1882, le 24 mars, pardevant nous Chevalier-Joly Henri, juge d’instruction près le tribunal de 1ère instance, séant à Roanne, étant en notre chambre, au palais de justice dudit lieu, assisté de Barriquand Claude, Marie, greffier du même tribunal.

Est comparu la personne ci-après nommée Fournier

A l’interrogatoire de laquelle nous avons procédé ainsi qu’il suit :

Demande à elle faite de ses noms, prénoms, âge, profession, lieu de naissance, demeure, etc.

Elle a répondu :

Je me nomme Fournier Pierre, 19 ans, tisseur, demeurant à Roanne le 9 octobre 1862, fils de Gilbert et de Fournier Euphrasie, tisseur à Roanne. Jamsi condamné.

Q. Vous êtes inculpé d’avoir à Roanne, rue de la sous-préfecture, aujourd’hui 24 courant, tenté de donner la mort à M. Bréchard, en tirant sur lui un coup de revolver, laquelle tentative manifestée par un commencement d’exécution, n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de votre volonté, d’avoir commis dans cette tentative avec circonstances que vous aviez avant l’action formé le dessin d’attenter à la personne de M. Bréchard. Reconnaissez-vous le fait dont vous êtes inculpé ?

R. Je le reconnais.

Q. Quel est le motif qui vous a poussé à commettre l’acte que vous avez commis, à quel mobile avez-vous obéi ?

R. En tirant sur M. Bréchard, j’ai agi de mon propre mouvement. Je me disais en moi-même que M. Bréchard était seul la cause de la grève, sa mort la ferait cesser et rendrait le travail et le pain aux ouvriers. Je n’ai pas été poussé à cet acte par personne, je n’ai reçu des conseils et d’inspirations de personne.

Q. Ne faites vous pas partie d’une nouvelle société établie parmi les ouvriers et dénommée Société des Vengeurs ?

R. Non, je ne connais même pas l’existence de cette société.

Q. D’où provient le revolver avec lequel vous avez tiré sur M. Bréchard ?

R. Ce revolver appartient à mon père, je l’ai pris chez nous, il était enfermé dans une armoire et enveloppé dans une chaussette de laine ; mon père l’avait acheté il y a environ 2 ans, mais il avait été réparé et mis en état depuis 6 semaines à 2 mois par un de nos voisins que je ne connais pas très bien mais dont mon père pourra vous dire le nom. Quant aux cartouches, elles étaient fermées dans une garde robe.

Q. Quelle sont les maisons dans lesquelles vous avez travaillé ?

R. Avant la grève, j’étais employé comme tisseur chez M. Michalon ; depuis j’ai travaillé 4 jours, du jeudi au lundi dernier chez M. Dechavanne à la (illisible). J’en suis sorti pour un rabais qui m’avait été fait à cause d’un retard dans mon travail.

Q. Depuis combien de temps aviez-vous formé le projet d’attenter à la vie de M. Bréchard ?

R. Il y a deux jours que cette idée me travaillait, c’est ce matin que j’ai pris la revolver et les cartouches et c’est aprèsmidi vers une heure, moment auquel je sais que M. Bréchard se rend au café, que je l’ai attendu, rue de la sous-préfecture. Je me suis avancé de son café et j’ai fait feu sur lui à une distance de un mètre à un mètre cinquante environ.

Lecture faite et persisté et à signé avec nous et le greffier.

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Du 8 avril 1882

Tribunal de première instance de l’arrondissement de Roanne

Chambre d’instruction

Procès-verbal d’interrogatoire

L’an 1882, le 8 avril, pardevant nous Chevalier-Joly Henri, juge d’instruction près le tribunal de 1ère instance, séant à Roanne, étant en notre chambre, au palais de justice dudit lieu, assisté de Barriquand Claude, Marie, greffier du même tribunal.

Est comparu la personne ci-après nommée Fournier

A l’interrogatoire de laquelle nous avons procédé ainsi qu’il suit :

Demande à elle faite de ses noms, prénoms, âge, profession, lieu de naissance, demeure, etc.

Elle a répondu :

Je me nomme Fournier Pierre, 19 ans, tisseur, demeurant à Roanne, déjà interrogé.

Q. Quel a été l’emploi de votre temps la matinée du vendredi 24 mars dernier ?

R. J’ai passé une partie de ma matinée à chercher du travail et je suis allé notamment à l’usine de M. Déchamp où on n’a pas voulu m’employer. Je suis rentré pour déjeuner chez ma mère. Après déjeuner, j’ai fendu du bois. J’étais depuis deux jours obsédé par l’idée que je ne pourrais pas trouver de travail, c’est sous l’empire de cette idée que j’ai pris la détermination de commettre l’acte qui m’est reproché aujourd’hui. C’est à ce moment là que j’ai pris chez mon père, comme je vous l’ai dit dans mon précédent interrogatoire, le revolver et les cartouches qui s’y trouvaient. Je me suis dirigé dans la rue des Planches où se trouve la maison de M. Brochard et où se réunit le syndicat des patrons. En passant dans la rue, j’ai rencontré un de mes camarades dont je ne me rappelle plus le nom et qui a travaillé avec moi dans l’usine Michalon-Berthaud. Ce camarade m’a offert à boire, nous sommes entrés ensemble chez le boulanger Donjon où nous avons pris un verre d’eau de vie.

Je n’ai rien dit de mes projets et nous ne sommes restés ensemble que très peu de temps, environ 10 minutes. Peu de temps après, j’ai rencontré le sieur Vermorel, avec lequel j’ai échangé quelques paroles, il m’a fait remarquer que j’avais l’air troublé, c’est alors que je lui ai montré mon revolver que j’avais dans la poche de mon pantalon, en lui disant que j’attendais M. Béchard.

Q. Votre déclaration n’est pas conforme au témoignage du témoin Vermorel ; ce témoin affirme en effet qu’en lui montrant votre revolver, vous n’avez pas désigné d’une façon particulière M. Bréchard, mais que vous lui avez dit : « moi, j’attends ces onze fabriquants à la sortie de leur réunion, pour en saluer quelques uns » et cette déclaration paraît être conforme à la vérité et est la reproduction exacte de ce que vous avez pu dire, car en réalité, vous n’aviez pas de motifs pour en vouloir plus particulièrement à M. Bréchard, chez lequel vous n’avez jamais été employé comme ouvrier.

R. Je persiste à affirmer que j’ai dit à Vermorel que j’attendais M. Bréchars : je considérais ce dernier comme la seule cause de la grève et c’est pour cela que j’avais formé le projet de lui donner la mort.

Q. Depuis le moment où vous avez quitté Vermorel, jusqu’au moment où vous avez tiré sur M. Bréchard, où êtes-vous allé et qu’avez-vous fait ?

R. Je suis resté à flaner, soit dans la rue des Planches, soit dans la rue de la sous-préfecture. Je n’ai rencontré personne de connaissance, ni aucun de mes camarades et je n’ai parlé à personne d’autre qu’à Vermorel.

Q. N’avez-vous pas assisté le jeudi 23 chez Pérard à une réunion des ouvriers ?

R. Oui, j’ai assisté à cette réunion, mais elle était formée des délégués et des ouvriers de l’usine de M. Bréchard. Cette réunion s’est terminée vers les 11 heures. Je ne me rappelle pas exactement ce qui a été dit et ce qui s’y est passé. Dans le reste de la journée, j’ai cherché du travail et je suis allé à différentes usines, sans pouvoir en trouver.

Lecture faite a persisté et a signé.

Source : 4 U 238 Archives départementales de la Loire

Lire le dossier : Pierre Fournier de Roanne, premier propagandiste par le fait. 24 mars 1882