EUGÈNE WAGNER

Une confusion s’est produite, dès le premier jour, sur la personne du nommé Wagner, arrêté le 1er janvier, à la suite d’une perquisition faite chez lui, et maintenu depuis lors en état d’arrestation.

En effet, les Wagner sont deux frères, dont l’un Henri, tourneur en cuivre, habite place du Marché-Sainte-Catherine, et dont l’autre, Eugène, vit avec sa mère, concierge au n° 4 de la rue des Eglantiers, à Ménilmontant.

C’est là qu’un de nos rédacteurs s’est rendu, n’ayant pu trouver Henri Wagner à son domicile. Il lui a été répondu par Mme Wagner que ses fils, arrêtés tous deux lundi matin, avaient été relâchés dans le courant de la même journée.

Or, ce matin, il nous était dit, à la préfecture de police, que l’un des deux frères Wagner était encore au Dépôt.

Nous nous sommes rendu de nouveau chez Henri Wagner. Il habite une chambre, située au sixième étage de la maison portant le n° 7 de la place du Marché-Sainte-Catherine.

Au moment où nous arrivons, il est sur le point de sortir avec sa femme. C’est un homme petit, d’aspect plutôt chétif, à la physionomie assez douce, mais, comme « il se méfie des journalistes », nous avons toutes les peines du monde à obtenir de lui les renseignements, cependant assez simples, que nous désirons.

Il ne veut d’abord rien nous répondre relativement à son frère. Quant à lui, arrêté le matin à six heures, il était relâché vers midi.

Il sait seulement, nous dit-il, que son frère, incarcéré à la même heure que lui, n’était pas encore remis en liberté le lendemain. Ce n’est qu’au bout d’une demi-heure de conversation que, cédant à notre insistance, il nous communique une lettre de sa sœur, dont nous détachons le passage suivant : …Si tu veux écrire à Eugène, voici exactement son adresse : Eugène-Nicolas Wagner, 2° étage, cellule n° 72, au Dépôt…

Tous les doutes sont donc levés, C’est Eugène Wagner,, demeurant 4, rue des Eglantiers, qui est maintenu en état d’arrestation.

L’ANARCHISTE CABOT

Parmi les perquisitions opérées le ler1er janvier chez divers anarchistes, celle faite par M. Vérillion, commissaire de police, dans une boutique d’imprimerie de la rue des Maronites a eu pour résultat l’arrestation d’un ouvrier typographe nommé Cabot. Cabot, en effet, qui était absent pendant la perquisition opérée chez lui, était conduit hier, ainsi que nous l’avons annoncé en dernière heure dans notre édition rose, au commissariat de M. Vérillion et de là envoyé au Dépôt.

Un de nos confrères, rendant compte de cette mesure, annonçait hier soir qu’elle était motivée par la trouvaille de documents très intéressants qui concernaient M. Paul Reclus, actuellement en fuite. Or, à cinq heures, sans que M. Verillion en fut avisé, Cabot était remis en liberté par décision de M. le préfet de police.

Il nous a paru intéressant de nous adresser à Cabot lui-même, afin d’éclaircir la chose, et nous nous sommes rendus au logis de sa maitresse, une dame Valcaert, 12, rue Piat, où il avait été arrêté le matin même. C’est tout là-bas, au haut de la butte, où se réunissent les extrémités des quartiers de Belleville et de Ménilmontant, une petite rue étroite et sombre, bordée de maisons misérables. Nous traversons un long couloir obscur et, après avoir frappé dix minutes à la porte du concierge, nous nous trouvons en présence d’un grand diable très moustachu qui, à notre question, répond d’un ton rogue : « premier, porte à gauche ! » Nous montons par l’escalier délabré et nous pénétrons dans un réduit enfumé ; c’est là qu’habite Cabot et sa maîtresse. Cabot est un homme de taille moyenne, trente-cinq ans environ, brun, tête énergique, longue barbe, yeux noirs et expressifs.

Vous voulez savoir, nous dit-il, si l’on m’a arrêté ? Eh bien, oui, on m’a arrêté, puis envoyé au Dépôt et définitivement relaxé, sans que je sache pourquoi. Ordre du préfet de police, paraît-il. Au reste, peu m’importe, du moment que j’étais mis en liberté, je n’ai pas demandé mon reste. Et cette arrestation, voulez-vous connaître le sujet qui l’a motivée ? Deux lettres de recommandation adressées, l’une par le compagnon Pol Martinet à M. Couture, employé au Printemps, l’autre, par le compagnon Constant à Mme Séverine. Ainsi, aujourd’hui, on ne peut plus demander des références quand on est anarchiste ; cela n’est bon que pour les bourgeois.

Quant aux prétendus papiers qui concernaient Paul Reclus, c’est un conte bleu. Je n’ai jamais eu entre les mains un écrit quelconque pouvant le compromettre. Ce qui a sans doute donné lieu à cette mystification, c’est une grande enveloppe sur laquelle était inscrit le nom de Reclus, enveloppe vide du reste. Elle était destinée à renfermer les épreuves du journal la Révolte, dont il était le correcteur officieux et où je travaillais autrefois pour mon compte personnel, comme typographe. C’est sur cette donnée qu’on a bâti je ne sais quelle histoire à dormir debout.

Vous désirez savoir si l’on m’a fait subir un interrogatoire ? Non, à proprement parler; on s’est borné à me demander l’adresse de Reclus et j’ai répondu ce que les journaux ont déjà dit, qu’il était à Bucarest. J’ai dit cela très franchement, car c’est mon opinion.

Il nous a fallu subir ensuite l’apologie de 1′ « anarchisme » et la critique du socialisme qui, affirme le compagnon, est une formule pire que celle de la société actuelle.

EN PROVINCE

Lyon, le 3 janvier.

Le Père Peinard a été saisi ce soir dans tous les kiosques et magasins de journaux.

Grenoble, le 3 janvier.

L’engin trouvé dimanche dans les perquisitions faites chez la femme Jame, maîtresse de Cadot, l’anarchiste grenoblois qui a disparu il y a un mois, a été examiné ce matin à l’arsenal de l’artillerie. C’est un obus de 120 millimètres de hauteur et de 44 de largeur, inventé en 1870 par M. Pinat ingénieur. La tête de l’obus se dévisse ; il est à fusée percutante et se compose de 12 ailettes.

On ne connaît pas encore quelle matière explosible qu’ il contenait, mais il était chargé.

On trouve encore à Grenoble, un certain nombre de ces obus qui ne servent plus aujourd’hui.

Marseille, le 3 janvier.

On assure qu’à la suite des nombreuses perquisitions opérées chez les anarchistes italiens, il sera pris une trentaine d’arrêtés d’expulsion.

Besançon, le 3 janvier.

Trois anarchistes, Reuche, Magnin et Bardot, ont été arrêtés lundi, Reuche et Magnin à Besançon, Bardot à Roche. Dans la perquisition faite au domicile de Bardot par le commissaire central aujourd’hui, on a découvert quantité de brochures anarchistes, un numéro du Père Peinard, des fioles contenant des acides, un moule pour fabriquer de fausses pièces de cinq francs, un coup de poing américain et un cadenas à combinaisons, taché de sang.

Journal des débats 4 janvier 1894