Préfecture des Ardennes
Cabinet du Préfet
Perquisition chez des anarchistes
Mézières le 21 novembre 1893
Monsieur le Président,
J’ai l’honneur de vous rendre compte des perquisitions auxquelles il a été procédé ce matin, dès la première heure, conformément à vos instructions, chez quelques uns des anarchistes les plus dangereux des Ardennes.
Dans l’arrondissement de Mézières, M. le procureur de la République, informé par le commissaire de police de Nouzon qu’un sieur Kaiser, de cette commune avait parlé il y a quelque temps de la dynamite dont il était détenteur, a pris texte de cette déclaration pour ouvrir une information. C’est donc sur l’ordre de M. le juge d’instruction (et en sa présence pour ceux de Charleville) que des perquisitions ont été faites chez neuf anarchistes de cette ville (Blin, Lamoureux, Tisseron, Mailfait, Midoux, Gosset, Louvigny, Bauda et Henrard) et chez cinq de Nouzon (les frères Kaiser, Gualbert, Copine et Louis Théophile).
Ces perquisitions n’ont amené la découverte d’aucune matière explosible. Tisseron et Louvigny, comme Thomassin, ont déclaré d’ailleurs qu’ils s’y attendaient, la presse les ayant avertis.
Quelques placards ou brochures anarchistes ont pu être saisies, notamment chez Gualbert à Nouzon, sept exemplaires des placards En Russie et Au conseil de révision.
Enfin le commissaire de police de Nouzon a su que l’un des frères Kaiser (Oscar) parti depuis quelque temps pour les environs de Paris, où il demeure, chez (?) Kaiser, 58 rue Abeille à Alfortville, a vendu avant son départ deux kilos de dynamite pour 8 francs à un sieur Gadenne, entrepreneur de travaux publics à Nouzon.
A Sedan, après entente de la sous-préfecture et du parquet, une perquisition a été pratiquée chez le sieur Baicry, mais sans succès. Quant au parquet de Rocroi, les investigations dans les environs n’ont fait rencontrer que quelques brochures, mais ont amené la découverte de deux individus, l’un Moray, condamné autrefois à Charleville pour excitation à désertion, et l’autre Romans Jules de Lille, que nous soupçonnons d’être recherché par la Sûreté générale.
Le temps m’ayant manqué pour m’entendre avec le parquet de Rocroi au sujet des perquisitions à faire à Revin et à Fumay, j’ai requis administrativement, en vertu de l’article 10 du Code de l’instruction criminelle, M. Krier, commissaire spécial et Valache, commissaire spécial adjoint, d’y procéder. Le premier a fouillé les logements de Daine, Millard, Borgniet, femme Routa, Cordier, Chuillot, Druard fils et femme Diseur, sans rien découvrir. Quant à M. Valache, sur les sept anarchistes de Fumay et les deux de Haybes chez lesquels il a opéré, il n’a rencontré qu’un placard En Russie, chez Galloy Eugène.
Je dois ajouter que si tous les ouvriers carriers de Fumay emploient journellement la dynamite, ils la conservent rarement chez eux, mais généralement dans des anfractuosités de rochers près de leur chantier et que tous ceux d’entre eux (et ils sont nombreux) qui demeurent en Belgique, où la dynamite se vend librement, l’apportent dans leur poche au fur et à mesure des besoins.
Quoi qu’il en soit, je crois pouvoir dire que ces perquisitions, faites discrètement, ainsi que vous le prescriviez, mais qui n’ont pas été sans émouvoir le public, ont produit un effet salutaire.
Le Préfet.
Source : Archives nationales F7 12507
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