Martin

Martin (Auguste-Eugène), dit Coupaye, a à peine vingt-cinq ans. Il n’a pas d’antécédents judiciaires et ses patrons ont donné sur son compte les meilleurs renseignements au point de vue du travail et de la moralité. Garçon boulanger à Fumay, il vivait tranquillement et honnêtement, à l’abri de toute pernicieuse influence, lorsqu’il eut la mauvaise idée d’entrer en relations avec des anarchistes. Secrétaire du groupe socialiste l’Émancipation, il fréquenta des individus qui lui montèrent la tête et le décidèrent à être le correspondant du Père Peinard. Dès ce jour, il reçut tous les journaux anarchistes et fit de la propagande. C’est à ce moment-là, le 22 mars, qu’il fit la connaissance de Druard.

  • Druard tout à l’heure a dit que je lui ai le premier parlé de dynamite. C’est faux. C’est lui qui m’a demandé de la dynamite. J’affirme que ce qu’à dit Druard est faux.
  • Pourquoi s’adressait-il à vous, qui êtes garçon boulanger, pour avoir de la dynamite ?
  • Parce que je l’accompagnais et que je paraissais écouter ses théories anarchistes. Je lui en ai procuré par des carriers de Fumay. Je ne savais pas à quoi elle était destinée. Druard me disait que s’il y avait quelque chose, jamais il ne me dénoncerait et que s’il y avait des travaux forcés à faire, il les ferait.
  • Mais vous avez reconnu vous-même à l’instruction que la dynamite était destinée à faire une explosion ! Combien de cartouches avez-vous fourni entre toutes ?
  • Dix-neuf.

Un naïf qui s’est laissé entraîner et « qui n’a pas su s’en tirer », comme il le dit lui-même, tel semble Martin.

Raguet

Une condamnation à l’emprisonnement et à l’amende pour entraves à la liberté du travail, une seconde condamnation à cinq mois pour coups et blessures, le casier judiciaire ainsi orné de Raguet ne lui est pas favorable. Cependant, bon fils, bon ouvrier, il avait la réputation d’honnête homme, coupable seulement de fréquenter trop les cabarets et de se laisser influencer par les discours incendiaires qu’il y pouvait entendre. Né à Fumay, Raguet Louis, était carrier dans cette commune ; c’est à ce titre qu’il put se procurer des cartouches de dynamite et les donner à Martin : c’est par là seulement qu’est établie sa complicité.

Cordier

  • Cordier Léon-Eugène, quel âge avez-vous ?
  • Trente-et-un ans.
  • Vous avez été condamné à quinze jours de prison pour coups et blessures et vous jouissez d’une mauvaise réputation. Votre probité laisse à désirer. Vous avez été en outre renvoyé de chez un de vos patrons parce que vous étiez violent et paresseux. Quand avez-vous commencé à entrer en relations avec vos co-accusés ?
  • A la grève de Revin. Mais je n’ai pas pris part aux conciliabules de Bigel et de Chuillot. J’ai bien vu préparer des cartouches de dynamite par Bigel qui, sur une réflexion que je faisais, m’a dit : « Celui qui vend l’autre, on lui brûle la gueule. » Avant l’attentat de la gendarmerie, Bigel m’a dit en me montrant son cigare : « C’est pas moi qui suis le coupable, c’est mon cigare. »
  • Vous êtes poursuivis pour complicité. Vous saviez fort bien à quoi étaient destinées les cartouches et qu’on préparait des attentats.
  • C’est que Bigel venait toujours le lendemain me raconter ce qui s’était passé. Mais je n’ai mis la main à rien, pas plus que Bourgeois, non plus. Je me contentais de regarder les préparatifs.

Graux

Comme Druard, Graux a travaillé à Guise. On le signale comme aimant le désordre. Cependant, les patrons n’avaient rien à lui reprocher, si ce n’est des idées anarchistes. Il est poursuivi pour avoir conservé dans son jardin les cartouches destinées à l’un des attentats. Il affirme avoir complètement ignoré ce qu’on voulait faire.

  • Alors, pourquoi les avoir cachées ?
  • Par imbécilité.
  • Oh ! À trente-huit ans, un homme ne peut s’excuser comme un enfant.
  • Je ne savais pas ce que je faisais.
  • Mais pourquoi avez-vous remis un revolver à Chuillot pour Bigel ?
  • Je croyais que c’était pour des exercices de tir.

En somme, Graux, quoique signalé comme anarchiste, paraît avoir commis plutôt un acte de faiblesse, dans l’ignorance.

Les témoins

Le dernier interrogatoire terminé, une suspension d’audience a lieu, et à onze heures M. le président commence l’audition des témoins. La plupart ne font que confirmer en quelques mots tout ce que nous savons déjà sur la moralité et les actes des inculpés. Nous n’analyserons donc pas ces dépositions qui sont sans importance.

Retenons seulement la déposition de M. le directeur de la poudrerie de Saint-Ponce, qui a trait à l’analyse de la bombe trouvée chez M. Deville. Cette bombe était une boîte de zinc, de forme cylindrique, de 145 millimètres de hauteur sur 72 de diamètre. Le couvercle était percé près du centre d’un trou rectangulaire irrégulier. Un mèche de mineur traversait l’orifice du couvercle et y était fixée par un brin de fil de fer recuit identique à l’échantillon saisi chez Bigel. La boîte ouverte, on a trouvé à la partie supérieure, pliée de manière à faire bouchon, une couverture des Magasins du Printemps. Ce papier était maculé de taches brunes et portait des traces de goudron provenant de la mèche. Comme nous l’avons dit, il portait en plusieurs endroits le nom de Bigel écrit au crayon. En dessous, «étaient plusieurs morceaux froissés d’un indicateur. Sous ce papier se trouvait une matière rougeâtre, onctueuse, plastique, fortement coincée par des morceaux de l’indicateur. Sous l’explosif on a trouvé une allumette en bois, coupée à moitié en longueur, disposée de manière à s’enflammer par le frottement et à mettre le feu à la matière.

A la partie inférieure la boîte était remplie de papier paraffine et de papier parcheminé. Ce dernier portait des inscriptions presque effacées sur lesquelles on a pu lire cependant : « Dynamite, matière explosible, Société générale pour la fabrication de la dynamite, février 1891. »

L’analyse qualitative démontre qu’on est en présence d’un mélange formé de nitroglycérine, de trinitrocellulose, de cellulose et de nitrate de soude ; c’était une dynamite gélatinée à base active.

La capsule de la mèche pénétrait de 7 à 8 centimètres dans l’intérieur de la cartouche. Elle était fixée par un sertissage à la pince dans une capsule en cuivre rouge.

Après avoir dévissé le sertissage, la mèche a été retirée, il a été constaté qu’elle avait été brûlée jusqu’au bout, la substance grisâtre que la capsule contient était même légèrement noircie par la combustion de la mèche. Cette capsule a été examinée ; ces capsules sont employées généralement pour provoquer la détonation de dynamite gomme et gélatinée qui sont plus difficiles à faire exploser que la dynamite ordinaire.

Par l’analyse quantitative, on a obtenu sur 100 grammes le résumé suivant : (partie non recopiée)

Le poids de la cartouche était de 350 gr. au moins correspondant à 3 cartouches ½ de 100 gr.

La dynamite gélatinée à base de nitrate de soude a plus de puissance que la dynamite ordinaire. La dynamite trouvée dans la boîte aurait produit les effets de 465grammes de dynamite ordinaire n°1. Ces effets auraient été importants et encore augmentés par suite de la résistance de la boîte qui aurait produit l’action d’un bourrage.

La charge de 465 grammes peut déblayer 5 mètres cubes de roche demi-dures et d’une résistance analogue à celle d’une maçonnerie ordinaire. On peut donc dire que l’appui du soupirail aurait été brisé et que très probablement le linteau aurait subi de grandes avaries. Il convient de rappeler qu’il suffit de 120grammes de dynamite pour briser un rail de chemin de fer. Le raté est dû à ce que le bout de la mèche n’était pas en contact suffisant avec le fulminate de l’amorce.

Si l’attentat a échoué, c’est grâce, on peut le dire, à un heureux hasard, dit en résumé le témoin.

L’audition des témoins est achevée à deux heures et demie de l’après-midi. M. le président donne alors la parole à M. Bourgueil, procureur de la République.

A ce moment, la salle est pleine et le public se presse à la place qui lui est réservée.

Le Petit Ardennais 11 novembre 1891

Lire : L’affaire de la dynamite à Revin et Charleville (Ardennes). 10 novembre 1891 (1)

L’affaire de la dynamite à Revin et Charleville (Ardennes). 10 novembre 1891 (2)

L’affaire de la dynamite à Revin et Charleville (Ardennes). 10 novembre 1891 (3)

L’affaire de la dynamite à Revin et Charleville (Ardennes). 10 novembre 1891 (4)

L’affaire de la dynamite à Revin et Charleville (Ardennes). 10 novembre 1891 (5)