Audience du mardi

Huit heures et demie du matin. Il y a encore moins de monde que la veille. La salle est presque vide. Décidément l’affaire de la dynmite ne produit aucun effet sur le public ordinaire de la Cour d’assises. A la vérité, l’impression générale est que les débats sont tout à fait dépourvus d’intérêt ; au fur et à mesure que s’écoulent les débats, la culpabilité des accusés paraît diminuer et leur responsabilité s’atténuer considérablement.

A neuf heures seulement, l’audience est ouverte. Hier, l’interrogatoire de Bigel à duré deux heures. C’était, il est vrai, le plus important. Aujourd’hui, les autres dureront à peine une heure et demie.

Chuillot

Ce matin, le premier interrogé est Chuillot. Il n’a ni la figure franche et satisfaite de Bigel, ni l’allure soumise de Bourgeois. Mais sa tête énergique, couverte d’une épaisse chevelure noire, presque crépue, laisse deviner un homme résolu. On le signale comme s’étant rendu redoutable par ses violences et ses excès de langage, ne cessant de déblatérer contre les patrons, les traitants de bandits et de voleurs, mais n’hésitant pas à l’occasion, malgré ses discours sur la justice sociale, à commettre lui-même des actes d’indélicatesse au préjudice des débitants chez lesquels il logeait ou mangeait. Au reste, intelligent et d’un caractère décidé, il a toujours voulu imposer ses idées de désordre et de révolte à ses camarades, et ceux-ci étaient, parait-il, les premiers à le considérer comme un meneur dangereux.

D’un mot bref et sec, Chuillot nie systématiquement la plupart des faits qui nuisent à sa moralité. Mais, avec la même netteté, lorsque le président lui demande qui s’est chargé de fournir la dynamite, il répond : « C’est moi »

Cependant, loin d’avouer complètement, toute sa participation aux attentats, il s’efforce d’en rejeter toute l’initiative sur Bigel, affirmant par exemple que celui-ci a eu seul l’idée des attentats contre la gendarmerie et la maison Deville.

  • Oui, c’est Bigel qui a voulu faire ces coups. Moi, je ne lui ai indiqué que le Petit Ardennais.
  • Et la maison Deville ?
  • Non, monsieur le président, je ne lui en ai pas parlé, car j’ai été ouvrier chez M. Deville et je n’ai jamais été mieux que chez lui. Je ne pouvais donc avoir de haine personnelle contre lui.
  • Vous avez reconnu que c’est vous qui fournissiez la dynamite à Bigel. D’où la teniez-vous vous-même ?
  • De Druard et de Martin.

Après avoir chargé Bogel, Chuillot cherche au contraire à couvrir Druard. Celui-ci, d’après lui, ignorait les projets d’attentats.

  • Mais Druard ne vous parlait-il pas d’anarchie ?
  • Non, monsieur le président.
  • Qui donc vous a entraîné ?
  • Personne ne m’a entrainé. Je suis arrivé à ce point là tout seul. Ce sont les grèves qui m’ont excité, et aussi la lecture des journaux socialistes et anarchistes.
  • Vous ne vous êtes donc pas aperçu que derrière vous il y avait des meneurs qui ne sont pas à côtés de vous, mais dont la responsabilité morale est grande. Malheureusement pour vous, c’est à vous qu’ils ont laissé le soin de subir la responsabilité pénale, car vous le savez, les conseilleurs ne sont pas les payeurs.

Le Petit Ardennais 11 novembre 1891

Lire : L’affaire de la dynamite à Revin et Charleville (Ardennes). 10 novembre 1891 (1)

L’affaire de la dynamite à Revin et Charleville (Ardennes). 10 novembre 1891 (2)

L’affaire de la dynamite à Revin et Charleville (Ardennes). 10 novembre 1891 (3)