
D’un milieu ouvrier relativement aisé, Eugène Bigel suivit les cours du lycée de Charleville jusqu’à l’âge de douze ans et c’est sans doute son tempérament exalté qui lui fit quitter de bonne heure le lycée. Une de ses soeurs fréquenta l’École normale de Charleville.
Bigel travailla d’abord comme apprenti ajusteur à l’usine Dupont et Fould d’Apremont-sur-Aire où il se fit remarquer par sa violence et fut renvoyé. Ensuite, il fréquenta plusieurs établissements de Charleville, dont Parent, mécanicien, puis Ballot où il eut un doigt coupé, ensuite à la forge Périn Frères et chez Demangel, serrurier. Puis il travailla à Revin à partir de mars 1891. D’après divers rapports de police, il semble que sa conduite fût bonne, mais son naturel demeurait violent.
Il fut gagné aux idées anarchistes par ses camarades de travail et, en particulier, par Chuillot et Bourgeois qui lui firent lire des brochures éditées par le journal La Révolte.
A la fin du mois de mai 1891, au café Caramiaux à Revin, Bigel se retrouva en compagnie de Bourgeois, Chuillot, Cordier, Clamart et de Lucien Baudet, ancien ouvrier de l’usine Faure qui se trouvait sans travail à la suite des grèves dans cet établissement. « On cherchait le moyen de lui en procurer, quand je ne sais plus qui a parlé de dynamite. »
Il se laissa persuader que la propagande par le fait était le seul remède pour intimider le patronat et mettre fin aux grèves qui avaient éclaté dans les usines Faure de Revin, grèves qui se prolongèrent durant les longs mois de l’hiver 1890-1891. Bigel participa à ces grèves et, le 1er mai 1891, avec son camarade d’atelier Bourgeois, il tenta par trois fois de mettre le feu dans les bois de Revin. Le mois suivant, Bigel fut l’auteur des attentats à la dynamite commis à Charleville : il fit exploser quelques cartouches à la gendarmerie dans la nuit du 21 au 22 juin. Il déposa 2 cartouches de dynamite au commissariat de Charleville, mais elles n’explosèrent pas. Dans la nuit du 15 au 16 juillet, il plaça un engin qui contenait 125 grammes de dynamite dans une boîte en zinc dont le couvercle était percé d’un trou laissant passer la mèche, sur les fenêtres de M. Deville, un industriel de Charleville. Mais la tentative échoua. La partie supérieure était bourrée avec des morceaux de papier vert provenant d’un indicateur de chemin de fer et d’une couverture d’un catalogue des Magasins du Printemps, portant en plusieurs endroits le mot « Bigel », écrit au crayon. Ces mots avaient été écrit par sa sœur Elisa, âgée de 11 ans, ce qui permit à la police d’identifier rapidement l’auteur et de l’arrêter le 17 juillet. Dès le 25, il passa aux aveux ce qui permit d’arrêter ses complices et par la même occasion quelques socialistes de la vallée de la Meuse. Bigel était l’auteur avec Bourgeois de l’explosion qui avait eu lieu dans la nuit du 11 au 12 juin 1891 dans les caves de la gendarmerie de Revin. Il avait allumé la mèche avec un cigare et Bourgeois se chargea de déposer les cartouches. D’après Bigel, « Bourgeois me répétait sans cesse qu’il fallait se débarrasser des gendarmes et de la justice, pour arriver à bout des patrons. »
La cour d’assises des Ardennes condamna Bigel le 11 novembre 1891, à sept ans de travaux forcés et à dix ans d’interdiction de séjour, pour destruction d’édifices publics à l’aide de dynamite. Enfermé à la Maison centrale de Melun où il fut souvent mis au cachot, Bigel revint dans les Ardennes en 1894 pour comparaître à nouveau devant la cour d’assises en raison des incendies du 1er mai 1891 dont on venait de découvrir les auteurs. Il fut condamné le 23 novembre 1894, à douze ans de travaux forcés et à dix ans d’interdiction de séjour, ce qui aggravait la peine précédente bien qu’il y eût confusion. Au même procès avaient également été condamnés à la même peine C. Bourgeois et Badré Mauguière.
Déporté au bagne de Cayenne (matricule 26 844), Bigel y avait appris le métier d’effilocheur. Il y mourut le 11 novembre 1895. Selon le témoignage de Régis Meunier, il était tombé malade quelques mois après son arrivée au bagne et, exténué, avait tenté à l’automne 1895 de se suicider en s’ouvrant une veine du bras ce qui lui valut d’être condamné à 30 jours de cellule. Toutefois il n’avait pas été emmené à la prison mais avait été ramené dans une case où se trouvait Meunier et où quelques jour plus tard, il décédait sur son hamac le 11 novembre à 9h du soir. Son cadavre fut jeté à la mer où, selon Meunier, plusieurs femmes de surveillants applaudirent «en voyant les requins happer ce cadavre ».
SOURCES :
Arch. Dép. Ardennes, série 3 U 2 095 et 2 156. — Le Libertaire 8 novembre 1902 (témoignage de Meunier) — Notice Pierre Bigel du Dictionnaire des militants anarchistes — ANOM COL H 3939/b matricule 26844 — Le mouvement anarchiste dans les Ardennes 1890-1894 par Jean Vuarnet. Diplôme d’études supérieures 1959
Iconographie : Archives départementales des Ardennes : photo de Bigel dans Revin, Fumay, Fépin de Jean Garand. Société d’études ardennaises 1962, p. 66