
28 mai.
Verviers, qui depuis bientôt quinze années n’avait plus été le théâtre de manifestations socialistes sur la voie publique, a failli hier voir se renouveler ce qui s’était passé aux plus beaux jours de « L’Internationale », de triste mémoire.
Jeudi dernier, un meeting avait lieu au Café de l’Europe, rue du Marteau. La réunion était organisée par un nommé Jean Davister, travaillant chez MM. Peltzer et fils. Cet exalté était parvenu à rassembler 2 à 300 personnes.
Il leur dit en substance : « Il est honteux que Verviers, qui passait jadis pour être le centre du mouvement socialiste, reste calme, alors que les Borains se font massacrer pour la liberté. »
A la suite de cette harangue, les ouvriers sortirent en chantant la Marseillaise, « Dame Dynamite, dynamitons. »
Malheureusement pour eux, la police, prévenue à temps, les disperse en un tour de main.
Ils ne se tinrent pas pour battus et décidèrent un meeting en plein vent sur la place du Martyr (ancienne place des Récollets) pour le lendemain à 8 heures ½.
Hier donc, vers huit heures, la place était bondée de monde tant et plus même de curieux que de grévistes.
La garde civique à cheval était convoquée. Elle se tenait au Manège, la gendarmerie à l’athénée royal, la troupe prête à partir, et la police faisait le service d’ordre sur la place.
Il y avait 3 à 4.000 personnes, mais, je dois le constater, foule calme, très paisible ; à peine quelques cris de farceurs, comme il s’en trouve toujours dans ces occasions-là. Toutefois, le commissaire en chef, M. Legros, voyant que la foule grossissait, fait prévenir les gendarmes vers 9 heures ½ de venir de suite. Ils arrivent, baïonnette au canon, se mettent en ligne et font évacuer la place au pas de course ; toutes les rues qui y ont accès sont fermées. Mais je le répète, pas un cri séditieux ne se fait entendre, pas même une seule arrestation ne se produit.
N’est-ce qu’un ballon d’essai ? On dit qu’aujourd’hui soir la garde civique sera convoquée, et les ordres de la police sont d’une grande sévérité. M. Philippe, procureur du roi, a lancé un mandat d’arrêt contre Davister, mais il est introuvable.
Notez que les ouvriers ont de l’ouvrage, la filature et surtout la fabrique marchent très bien et les salaires sont rémunérateurs. Espérons que les ouvriers verviétois, qui ont su si bien résister aux excitations des meneurs l’année dernière, alors que la grève s’étendait aussi sur divers points du pays, sauront cette fois encore conserver cette attitude correcte et si digne d’éloges.
Journal de Bruxelles 29 mai 1887
Lire le dossier : Les anarchistes dans la province de Liège (Belgique)