Dans la duit du 14 au 15 février, trente-cinq kilos de cartouches de dynamite et des mèches de ces cartouches étaient dérobés dans une carrière, à Soissy-sous-Etiolles. La préfecture de police fut informée de ce vol par le parquet de Corbeil.

Des agents de la préfecture se livrèrent à des investigations, et, il y a trois jours, on acquérait la conviction qu’il avait été commis par des anarchistes de Paris qui comptaient se servir de ces cartouches le 1er mai prochain, non pas seulement à Paris, mais à l’étranger.

Le préfet de police prévint le parquet de la Seine du résultat de ses recherches. M. Lascoux, juge d’instruction, fut commis pour diriger une information, et hier il signait des commissions rogatoires qui furent remises à treize commissaires de police à l’effet d’opérer, hier matin, à six heures, des perquisitions chez les anarchistes soupçonnés d’être en possession de ces cartouches volées, dont le chiffre exact est de trois cent soixante.

Ce sont des tubes de 6 cm de long sur 2 à 3 cm de diamètre.

Chacun son quartier

Ces perquisitions ont été opérées hier matin, entre six et sept heures, par MM. Clément et Cochefort, commissaires aux délégations judiciaires; Goron, chef de la sûreté; Brissaud, commissaire de police du quartier Bonne-Nouvelle : Bureau, commissaire du quartier du Mail; Bernard, commissaire du quartier Gaillon ; Lejeune, commissaire du quartier de la Sorbonne; Girard, commissaire du quartier de Belleville ; Archer, commissaire de Clignancourt; Belouino et Baube, commissaires de Saint-Denis ; Guilhen, commissaire de Levallois; Berthelot, commissaire de Clichy; Amat, commissaire de Puteaux; Pelatan, commissaire d’Asnières.

MM. Goron et Archer

M. Goron a perquisitionné chez l’anarchiste Grave, qui vient de faire six mois de prison et qui est le secrétaire de la rédaction et l’administrateur du journal la Révolte.

M. Archer s’est rendu à l’administration du Père Peinard, rue d’Orscl, et MM. Brissaud et Cochefer, le premier rue Joquelet, chez l’anarchiste Duprat, ancien tailleur d’habits, et le second chez le compagnon Constant Martin, qui tient dans la même rue une crémerie servant de lieu de rendez-vous aux anarchistes. Ces diverses perquisitions ont amené la saisie de brochures et d’écrits anarchistes.

Belleville et Asnières

Il en a été de même pour les perquisitions opérées par M. Girard à Belleville, chez Lucas, qui tira naguère un coup de revolver au Père Lachaise sur le blanquiste Rouillon ; par MM. Baube et Belouino, à Saint-Denis, chez les anarchistes les plus qualifiés, entre autres; Alkran, rue du Canal ; Bouteville, 20, rue Brie d’Echalas ; Bastard, rue du Canal ; Pauwels, Belge, expulsé de Franco à la suite des affaires du 1″ mai dernier et recherché depuis, et enfin Plock, individus des plus dangereux. Mais a Asnières, les perquisitions faites dans la circonscription par M. Pelatan, commissaire de police,| ont été plus fructueuses. Ce matin, à six heures, ce magistrat se présentait rue Traversier 37, au domicile d’un nommé Bordier, connu dans la localité comme étant un des plus chaleureux partisans des doctrines anarchistes. Cet individu, qui est âgé de vingt ans et qui avait tiré au sort il y a quelques jours, devait partir prochainement au régiment avec les conscrits de sa classe. A son domicile, M. Pelatan ne trouva que des placards et des brochures anarchistes. Mais en consultant les papiers de cet individu, il apprit que Bordier avait loué, avec plusieurs de ses coreligionnaires, un local situé à Asnières, au numéro 1 de l’impasse Sainte-Geneviève.

Ce local avait été loué au mois de janvier par Bordier, qui y avait installé le « Cercle des études sociales ». Les réunions se tenaient généralement le samedi, entre huit heures et dix heures En perquisitionnant dans ce local, M. Pelatan découvrit, dissimulées dans un poêle, dix huit cartouches de dynamite. Elles étaient enfouies sous des morceaux de charbon de terre.

Interrogé sur la provenance de ces engins explosibles, Bordier déclara qu’il était étranger à leur introduction dans le Cercle des études sociales. Mis en état d’arrestation, il fut aussitôt conduit au commissariat de police, où, durant toute la matinée, il a été interrogé par M. Pelatan et un officier de paix de la brigade des recherches.

A toutes les accusations portées contre lui, Bordier a opposé les dénégations les plus formelles, assurant qu’il n’avait pris aucune part directe ou indirecte au vol de dynamite commis à Soisy-sous-Etiolles (Seine-et-Oiso).

Son arrestation a été maintenue.

En dehors du cotte perquisition dont le résultat a été aussitôt télégraphié au préfet de police, M. Pclatan a perquisitionné, en outre, chez divers autres individus, mais sans autre résultat que la découverte de papiers sans importance. Ajoutons qu’à la suite de déclarations faites par Bordier, d’autres perquisitions seront faites par M. Pelatan.

Levallois, Clichy et Puteaux

De son côté, M Guilhen, commissaire de police de Levallois, a fait, hier matin, une perquisition chez un nommé Marchand, demeurant rue du Bois. Il a saisi à son domicile une volumineuse correspondance, des écrits, des placards.

D’autre part, M. Berthelot, commissaire de police de Clichy, a perquisitionné chez un anarchiste nommé Ferrière, le même qui avait été arrêté il y a quelques jours à Saint-Denis, lors du tirage au sort, pour vendre sur la voie publique un placard intitulé le Conscrit, et chez les frères Estievant, ouvriers lithographes, qui avaient été mis en état d’arrestation, il y a quelque temps, pour avoir placardé, dans les rues de Clichy, des affiches anarchistes. Ces perquisitions ont amené la saisie d’écrits anarchistes.

A Puteaux, M. Amat, commissaire de police, a perquisitionné, sans résultat, chez un anarchiste employé dans une teinturerie.

A la préfecture de police on n’est pas sans quelque inquiétude au sujet des 320 cartouches qu’on n’a pu retrouver. On suppose que quelques anarchistes, notamment ceux de Saint-Denis et de Levallois-Perret, prévenus à temps de perquisitions qui allaient être faites chez eux ont pris leurs dispositions pour sous traire les cartouches qu’ils avaient. Les anarchistes vont être pendant quel que temps étroitement surveillés. Une partie des cartouches dérobées devaient, dit-on, servir à faire sauter l’hôtel de l’ambassade d’Espagne à Paris, les anarchistes parisiens voulant tirer vengeance de la mort de leurs quatre camarades exécutés à Xérès.

La Petite République 25 février 1892