Parquet de la cour d’appel de Grenoble
Direction des affaires criminelles et des grâces
1er bureau
Grenoble, le 15 décembre 1893,
Extrait du rapport sur l’organisation de l’anarchisme dans le ressort de la cour d’appel de Grenoble.
J’ai eu à me préoccuper des relations existant entre les anarchistes de Grenoble et ceux de Genève. Au mois de juin dernier, le sieur Jourdan, aujourd’hui décédé, m’avait été signalé comme entretenant une correspondance active avec un groupe connu à Genève sous le nom de groupe Dalloz. Il est résulté de l’enquête confidentielle à laquelle il fut alors procédé, que de part et d’autre on ne poursuivait d’autre but que d’assurer aux compagnons anarchistes en déplacement un point d’attache sûr dans chacune des deux villes. Voici en ce qui concerne Genève, les renseignements recueillis.
« Le groupe Herzig-Steiger-Dalloz qui se réunit chemin du Couchant 1, à Genève, chez le sieur Dalloz, a bien un registre sur lequel se trouvent inscrits les noms de nombre d’anarchistes de la région de Lyon, de Saint-Etienne, de Vienne, de Grenoble et de diverses autres villes, mais on n’y trouve à côté de ces noms aucune indication qui permette d’apprécier la nature des relations qui peuvent exister entre le groupe et les inscrits.
D’après les renseignements fournis par un membre de ce groupe c’est le sieur Steiger, dépositaire de brochures anarchistes, qui tient ce registre. Lorsqu’un anarchiste arrive d’une ville quelconque, il se rend le plus souvent au local du groupe où les compagnons lui trouvent un logement et du travail s’il veut se fixer à Genève, ou lui donnent des recommandations s’il continue sa route. Le compagnon est toutefois questionné sur le lieu d’où il vient, sur les camarades sûrs, etc. Il est alors pris note des adresses données, de façon à permettre aux anarchistes qui se rendraient de Genève dans cette ville de trouver quelqu’un de sûr.
Le sieur Steiger qui est, en outre, l’éditeur de la brochure La Peste religieuse, en profite pour s’adresser à ces compagnons et leur offrir des brochures.
D’autre part, les anarchistes craignant surtout les faux compagnons, aussi s’inquiètent-ils de la valeur morale de ceux dont on leur donne les noms.
Le groupe Dalloz doit, en tout cas correspondre avec les groupes des villes de la région, car tout anarchiste arrivant à Genève se rend directement chez lui, son domicile est, en un mot, une étape sûre pour les anarchistes en voyage.
Le sieur Dalloz n’est pas un individu à fabriquer des matières explosibles, il est d’abord trop paresseux et aurait trop peur de se compromettre.
Le groupe Dalloz est le seul qui soit en relations avec les groupes français ; il comprend quelques italiens, des suisses et des français. Cinq d’entre eux sont actuellement détenus pour vols, tentative de meurtre et attaque nocturne.
1° Carry (Marcel, Virgile), français, ancien camarade de Ravachol
2° Thaute, autrichien ,
3° Serra (Rémigio), italien
4° Ramella (Camillo), italien,
5° Livorno (Bartolomeo) , itlien,
Les plus connus et les plus militants du groupe sont :
Steiger (Jacques, Eugène), suisse, très militant
Says (François), suisse, expulsé de France,
Steigmeier (Jean, Adam), suisse, militant,
Ardoine* (Moïse), français, voleur,
Aubert (Marius), français,
Colombo (Jean) , italien, très dangereux,
Herzig (Franz), suisse, militant,
Barbe (Henri, Auguste), français
Bordat (Claude), français, déserteur, voleur, faux-monnayeur
Beluet (Septime), français,
Barberot (Jean), italien,
Crovella (Olympio), italien, voleur
Coppo (François), italien,
Demellier (Louis) dit Chinois, français, voleur,
Grandjean (Pacifique), suisse, voleur,
Morelli (Achille), italien,
Peyrard (Charles), suisse,
Pack (Joseph), français,
Le groupe était beaucoup plus nombreux l’année dernière, mais les expulsions l’ont affaibli.
C’est au local de groupe qu’Auffret était venu directement lors de son arrivée à Grenoble.
En résumé, on est fondé à croire que les inscriptions se font à titre de renseignements seulement, et le nom de Jourdan a dû être donné par un anarchiste quelconque de Grenoble, à moins que cet individu ne soit personnellement connu de Steiger ou de Dalloz. Les anarchistes s’écrivent d’ailleurs assez souvent sans se connaître.
Ceux de Genève sont assez libres et la police ne s’en occupe que lorsqu’ils sont dépourvus de moyens d’existence, qu’ils sont déserteurs ou qu’ils commettent un délit quelconque. »
Source : Archives nationales BB18 6449
*Etat civil Moise Ardene