Préfecture de police

Direction générale des recherches

2e brigade

Cabinet 1er bureau

Réunion du groupe les Naturiens

Paris le 10 juillet 1895

Rapport

Hier soir a eu lieu, au café Rigaud, 69 rue Blanche, une réunion du groupe Les Naturiens.

L’assistance se composait de 9 personnes.

La séance est ouverte à 9 heures ½, sous la présidence du sieur Bariol.

Celui-ci annonce d’abord que le sieur Gravelle, ne peut assister à la réunion, se trouvant invité à dîner par des amis puis il présente deux nouveaux adhérents au groupe les sieurs Biot, demeurant 14 rue des Ecouffes et Parisis, 54 bis rue Ordener.

Il distribue à chaque assistant les journaux Le Phare de Montmartre et la Correspondance théâtrale, un imprimé intitulé La Gloire, signé de Spirus Gay et une invitation d’aller entendre au concert du Ranelagh, un partisan des Harmoniens. M. Broca et M. Mowbray.

Ci-joint les journaux et l’imprimé signé de Spirus Gay.

Il déclare ensuite qu’il est toujours question d’organiser un grand banquet avec conférence sur l’état naturel et qu’il a trouvé une grande salle 11 rue Lepic au 1er, où l’on peut tenir une soixantaine de personnes, pour laquelle il n’y a rien à payer.

Le sieur Tournois prend la parole et dit qu’il ne fait plus partie du groupe socialiste de l’abbé Garnier, parce qu’il ne veut pas s’enjuponner et que tout ce que fait l’abbé est simplement pour arriver à attraper les imbéciles.

Il ajoute que dernièrement il est allé à la Bourse du travail avec cinq camarades et que l’abbé Garnier le lui a reproché, ce qui donne lieu de croire qu’il l’avait fait suivre par sa police.

Il termine en déclarant que dorénavant il suivre les groupes des Harmoniens et des Naturiens.

Biot, donne 2 francs à Beaulieu pour les remettre à Gravelle et fait connaître que ce dernier demeure maintenant 16 rue de l’Abreuvoir.

Beaulieu explique aux personnes présentes que l’état naturel est la réformation des lois sociales, que l’on pourrait vivre des produits de la terre sans aucun travail et que celui qui voudrait s’adonner à d’autres travaux, tels que la mécanique, l’extraction des minerais du sol et serait laissé libre, en un mot que chacun ferait ce qui lui plairait.

Dans l’état actuel où nous vivons, dit-il, ce sont toujours les mêmes qui ont tout et l’ouvrier qui travaille du matin au soir, est obligé de peiner pour un prix dérisoire et de faire la richesse du patron.

Dans l’état naturel chacun aura sa part et vivra mieux. Au lieu d’avoir des châteaux, on fera comme les hommes qui vivaient il y a mille ans ; on aura des cavernes ou des cabanes.

Bariol, parlant à son tour de l’état naturel, dit : « Si la chose arrivait, je prendrais quelques bons volumes d’auteurs renommés et j’irais dans des pays lointains où je m’ébattrais sous les arbres comme le font les nègres et les indiens. »

Il ajoute qu’il va faire mettre dans un grand nombre de journaux une réclame, afin de grossir le nombre des adeptes et déclare qu’il est satisfait de voir que le groupe va en progressant. « Nous n’avons encore encaissé qu’une quarantaine de francs, conclut-il, mais en tenant des réunions des réunions, cette somme augmentera car nous ferons des quêtes.

La séance est levée à 11 heures ¼.

Le commissaire de police.

Source : Archives de la Préfecture de police Ba 1508

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