Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Vingt et unième épisode. Le Communiste remplace Le Cubilot. Le procès de Mounier.
Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.
Le premier numéro du Communiste paraît le 15 janvier 1908, la présentation du journal ne souffre pas la comparaison avec celle du Cubilot, l’impression est de mauvaise qualité, la première page est à peine lisible, le dessin qui accompagnait le titre est disparu. Alors que le Cubilot est devenu hebdomadaire, le Communiste ne paraît plus que tous les quinze jours.
Bien que les documents n’en apportent pas la preuve, il semble bien que les typographes (Jean Salives et François Dardenne) venus s’installer à Aiglemont pour faire fonctionner l’imprimerie, s’en sont allés. Il ne reste probablement plus que Fortuné, l’apprenti typographe, pour faire fonctionner la presse Alauzet.
En page sept, une partie de la colonne est même remplacée par le communiqué suivant : « Grâce à la température sibérienne dont nous sommes gratifiés (il fait 14 degrés de froid à cinq heures du matin, dans notre imprimerie pendant que nous composons ces quelques lignes), un camarade typographe a accidentellement mis en pâte le paquet de composition qui devait occuper cette place. Nos lecteurs et amis excuseront les défectuosités de ce numéro ; nous saurons les éviter à l’avenir. »
Bien sûr Le Cubilot hebdomadaire ne comportait que 4 pages mais si le Communiste en a le double, le journal est devenu plus théorique et n’a plus guère de lien avec les Ardennes. Fortuné ne se cache plus derrière un gérant de paille, comme l’était Mounier, il occupe désormais officiellement la fonction … et les risques juridiques qui vont avec.
Dans le Communiste, aucune trace de la campagne antimilitariste menée par Le Cubilot, l’absence de Dardenne qui avait marqué ce tournant lors de la fusion avec L’Egalité n’y est probablement pas étrangère.
Avec le Communiste, Fortuné semble vouloir en revenir à son but premier, lorsqu’il fonda la colonie d’Aiglemont : « Ainsi que notre dernier numéro du Cubilot – auquel le Communiste succède – l’a indiqué, nous avons décidé de continuer et de compléter ici le travail de propagande sur un plan quelque peu nouveau, celui des réalisations possibles. »1
Contrairement à ce qu’affirme la Dépêche des Ardennes, les poursuites contre Mounier, le gérant du Cubilot ne cessent pas, bien au contraire, Fortuné n’est pas inquiété puisque Mounier a endossé la paternité des articles les plus antimilitaristes mais le journal de droite extrême poursuit sa campagne de dénigrement dénuée de fondements objectifs : « Poursuivi avec son gérant, pour avoir publié dans son factum anarchiste, un article intitulé Pro Patria, le supérieur de la congrégation libertaire du Vieux Gesly n’a trouvé rien de mieux que de laisser disparaître un journal qui, d’après lui, huit jours auparavant, était en pleine prospérité.
Fortuné Henry n’aime pas les juges. Il ne se gène pas pour le dire, mais il ne veut pas comparaître devant eux et cela se comprend.
C’est pourquoi la presse si généreusement offerte par M. Corneau à l’imprimerie du compagnon Fortuné, publiera le Communiste qui ne différera de la feuille tombée que par le titre. »2
Dans sa haine contre Fortuné, la Dépêche ne comprend rien aux véritables raisons qui conduisent à la fin du Cubilot.
Qaunt à Mounier, il s’était bien présenté à la convocation du juge d’instruction Edmond Garnier le 30 décembre 1907 qui lui avait notifié son inculpation pour les articles antimilitaristes du Cubilot. Le 22 janvier 1908, un huissier remet entre les mains d’Adrienne Tarby, à la colonie d’Aiglemont, la notification de la fin de l’instruction du juge Garnier. Le 10 février s’est encore Adrienne Tarby qui reçoit la notification de l’huissier informant Mounier de son renvoi devant la cour d’assises des Ardennes.
Mais depuis le 25 janvier 1908, Mounier a définitivement quitté la colonie et le 18 février il est condamné par défaut à 3 mois de prison et 500 f. d’amende par la Cour d’assises des Ardennes.
Réfugié en Suisse, il habite depuis début mai 1908, le hameau de La Sarvaz canton du Valais.
En janvier 1908, paraît la brochure n°8 des Publications périodiques de la colonie communiste d’Aiglemont : L’École, antichambre de caserne et de sacristie d’Émile Janvion .4
Le 1er février 1908, sort le n°2 du Communiste. Dès l’article de Une, la rédaction s’excuse : « Le Communiste ne paraît aujourd’hui que sur quatre pages.
Les raisons qui nous obligent à cet écourtement étant surtout techniques, n’intéresseraient pas nos lecteurs.
Nous nous dispensons donc de les donner.
Nous les prions de nous excuser.
Mais pour les dédommager, nous les informons que le prochain numéro sera accompagné d’une superbe prime qui, nous l’espérons, aura l’heur de leur plaire et qui consistera dans un très beau portrait d’Elisée Reclus. » Les lecteurs du journal ne seront jamais dédommagés puisque ce numéro deux est le dernier. Les difficultés pour composer le journal sont bien réelles et Fortuné ne semble plus capable de publier le Communiste.
Dans l’article « Communisme pratique », il revient sur les buts assignés à l’Essai d’Aiglemont lorsqu’il créa la colonie, ces tentatives pratiques sont un laboratoire pour montrer que le communisme est possible mais il ne faut pas se leurrer, elles ne pourront à elles seules renverser le capitalisme : « On doit se garder de croire que, même multipliés, ces essais puissent avoir au point de vue social au autre rôle que celui d’éducation. Il ne peut venir à des esprits sérieux, l’idée de constituer de toutes pièces et avec des éléments qui, quoique choisis, sont encore fort défectueux, une société d’être raisonnables vivant raisonnablement dans la société de fous où nous vivons. »
Puis Fortuné annonce un nouveau projet, il va se créer dans les Ardennes un groupement de production communiste : « Nous ne sommes pas indiscrets en disant que bientôt les Ardennes verront s’établir un groupement de métallurgistes qui donneront, par le fait, l’exemple de ce que l’on peut faire dans le domaine de la production.
Une industrie à base communiste destinée à la fabrication d’outillage est en passe de voir le jour.
Ce groupement libre fabriquera et certaines fédérations de métier seront dès maintenant les intermédiaires entre ces travailleurs et ceux qui ont à employer les produits de leur fabrication, pour assurer le succès économique de la tentative…Bientôt, nous l’espérons, nous pourrons entretenir nos lecteurs d’une tentative qui les intéressera par ses origines et par le but qu’elle poursuit. »
La fin du Communiste ne nous permettra pas d’en savoir plus. S’agit-il d’étendre et de coordonner des tentatives de créations d’entreprises ouvrières, nées durant la grève générale de Revin ? (les sociétés en nom collectif dites les 20, les 22 et les 40)5
Notes :
1 Article « A l’oeuvre » Le Communiste n°1 15 janvier 1908
2 La Dépêche des Ardennes 10 janvier 1908
3 Cour d’assises 3U 2413 Archives Départementales des Ardennes
4 Réédition d’une brochure déjà parue à La Guerre sociale ([imprimerie de la Colonie communiste « L’Essai » d’Aiglemont] 1907, 31 p.).
5 Historique des mouvements ouvriers à Revin (1891-1914) par Tinel. Collection personnelle.
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