10 mai 1895
Les Naturiens ont passé par bien des malheurs. Un article de M. Louis Besse, rédacteur à la Petite République, à la Patrie et ailleurs, leur a porté tort. Cet article paru dans la Patrie indiquait que M. Gravelle avait trompé tout le monde en annonçant qu’il avait une terre offerte dans le Cantal pour sa colonie anarchiste. C’était un peintre farceur désireux d’ajouter une facétie à toutes celles, dont ses confrères s’étaient rendus coupables à Montmartre. Une note dans le même genre signée Grenet, a paru dans le Soleil.
M. Gravelle en a été très affligé, et il est allé faire rectifier aux deux journaux.
Il a dit que son groupe continuait son action et que personne n’avait à réclamer quoi que ce soit, surtout des souscriptions versées.
L’affaire a fait grand tapage dans le monde anarchiste et M. Gravelle et ses amis veulent la porter en public, en donnant une conférence à ce sujet, salle Octobre ou ailleurs.
Le compagnon Georges est dans la combinaison, prenant fait et cause pour M. Gravelle.
Source : Archives de la Préfecture de police Ba 1508
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LES NATURIENS
Notre entrefilet sur les « Naturiens » nous valu une lettre, fort spirituelle d’ailleurs, du peintre Gravelle. Dans cette épître, notre aimable correspondant nous affirme qu’il n’a pas le moins du monde renoncé à son expérience. S’il n’est pas encore parti avec ses amis — qui n’ont pas eu à donner la démission de leurs emplois, puisqu’ils exercent des professions libérales — c’est qu’il a du renoncer au terrain, primitivement choisi, pour des raisons diverses.
Ce terrain, situé dans la Champagne pouilleuse, appartient à un ami du peintre, et c’est pour éviter au dit ami des tracasseries administratives et des ennuis de famille qu’il a abandonné l’idée de le mettre à contribution.
Le grand prêtre « des Naturiens » a la plaisanterie facile. Il nous met au défi de lui fournir ou de lui faire obtenir « la concession d’un terrain fertile à raison de 12.000 mètres carrés par personne (portion dévolue à chaque habitant en France), de préférence boisé et en friche, avec végétation, même sur roches. » « Voilà, ajoute-t-il, qui n’est pas exigeant ».
Il n’est peut-être pas exigeant de demander quelques hectares de terres fertiles, mais nous avouons ne pas avoir ça sur nous. Peut-être se trouvera-t-il quelque bonne âme, sinon plus généreuse que nous-mêmes, du moins mieux pourvue, qui voudra bien mettre « les Naturiens » à l’épreuve. S’il existe, ce personnage à la fois bienfaisant et philosophe, qu’il se montre ! M. Gravelle et ses amis l’attendent avec impatience.
« Pour plus de sécurité pour le donateur, il sera dressé acte de concession de propriété inaliénable et inexploitable pour la durée de cinq ans ou à perpétuité, à volonté, ou bien encore il sera consenti un bail de location pour la même durée. »
Tout cela est fort bien, mais il nous sera permis de dire à M. Gravelle que nous sommes en France et non en Amérique. Nous ne demanderions pas mieux que de voir « les Naturiens » réussir et trouver l’esprit généreux ou utopiste, selon le point de vue où l’on se place, qui leur fournirait les moyens d’action dont ils ont besoin ; mais nous sommes obligés de maintenir nos premières et pessimistes conclusions. Les « Naturiens » ne partiront pas en mai pour la terre promise ; ils ne verront pas davantage leur Eden en juin ; ils ne le verront non plus en juillet, août, septembre, ni de sitôt. Puissions-nous mentir pour notre joie à tous.
H. Grenet.
Le Soleil 12 mai 1895