AFFAIRE MYSTÉRIEUSE

Une forte détonation a mis, la nuit dernière, en émoi les habitants de la rue Crozatier.

Vers deux heures du matin, une bombe lancée par un individu venait tomber dans une chambre située au deuxième étage du n° 6 de cette rue, où se trouve un appartement occupé par M. Verboom, inspecteur à la compagnie du chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée.

Cette bombe n’a, fort heureusement, blessé personne, mais a brisé une grande partie du mobilier.

Le premier étage de cette maison est occupé par M. Cotton d’Englesqueville, commissaire de police du quartier des Quinze-Vingts, et le dangereux engin semble lui avoir été destiné.

Voilà les renseignements donnés par la préfecture de police ; voici ceux que nous avons recueillis sur place :

La maison où s’est passé l’attentat est située rue Crozatier, 6. Au premier, côté cour, habite M. Cotton-d’Englesqueville; au deuxième, côté rue, M. Gaston Verboom.

Il y a quelques jours, un locataire de la maison s’est aperçu qu’une empreinte avait été prise de la serrure de sa porte. Après examen, le commissaire de police reconnut que pareille empreinte avait été prise chez lui.

A la suite de cette découverte, il fut con venu que, si jamais une tentative de vol ou d’effraction était commise chez un des locataires, celui ci tirerait un coup de fusil comme signal afin d’avertir le commissaire de police.

Donc l’avant-dernière nuit, vers deux heures du matin, une bombe, lancée par une main inconnue, vint éclater dans la chambre du fils de M. Verboom.

Brusquement réveillé, M. Verboom tira le coup de fusil, signal convenu.

Le feu avait pris aux rideaux ; quelques seaux d’eau suffirent pour éteindre ce commencement d’incendie.

La bombe, qui a dû être lancée de la rue, était composée d’une quantité de matière explosible et de limaille de fer, le tout enveloppé dans un papier grossier.

Cette bombe, dont la moitié n’a pas éclaté, a été envoyée à la Préfecture, où elle sera soumise à l’examen de M. Richer, expert chimiste.

Aussitôt après la détonation, on a entendu plusieurs coups de sifflet.

À la suite de l’instruction commencée par le commissaire de police, un nommé François Hénon, anarchiste très connu, a été arrêté. De fortes présomptions existent contre lui.

Il est certain que cet attentat a pour motif une vengeance anarchiste. Ce magistrat s’est beaucoup occupé des poursuites exercées contre cet individu et a instruit une partie de l’affaire Louise Michel. C’est également lui qui a arrêté Aumaréchal, l’anarchiste chez lequel on avait trouvé des matières explosibles semblables.

Lors des poursuites exercées à Lyon contre divers anarchistes, un de ceux-ci s’était caché à Paris. C’est toujours ce magistrat qui l’a découvert, précisément chez François Hénon, où cet individu s’était caché.

Le Gaulois 14 décembre 1883