Je me nomme Mercier Henri, âgé de 33 ans, cordonnier, demeurant au Buisson, commune de Tréazé, né à Chaudefonds-sur-Layon (Maine-et-Loire), le 24 mars 1860, fils de feu Jean et de feu Marguerite Jacob, célibataire, lettré.

J’ai tiré au sort à Angers, j’ai eu le n°102 de la classe 1880. Je n’ai jamais été condamné.

Nous présentons à l’inculpé une lettre portant le timbre de la poste d’Angers, indéchiffrable et le timbre de départ de Brest (Finistère) 31 décembre.

Cette lettre porte la suscription :

« Monsieur Mercier, cordonnier, rue du Vision ?, à Trélazé, Maine et Loire »

Après l’avoir examinée, l’inculpé dit : Je reconnais bien que cette lettre est à mon adresse.

Nous ouvrons la lettre en présence de l’inculpé, nous trouvons une première feuille datée de Keranfurus Izella, 31 décembre 1893, commençant par ces mots : « Mon cher ami, dès que…. été » et la signature « A. Meunier »

Nous lisons cette première feuille à l’inculpé.

Un second papier plié en quatre portant la suscription au crayon : « Pour remettre à qui tu sais ».

Sur notre demande l’inculpé répond :

« Je ne peux pas trahir le secret de mon ami, ni dire la personne dont il s’agit »

Nous brisons le cachet de cette seconde lettre, et nous la lisons en présence de l’inculpé. Elle commence par ces mots : « Amie, si [illisible] votre dernière lettre me porte à le croire… etc et signée « Régis »

Nous faisons signer de variatur les trois pièces dont il s’agit (l’enveloppe et les deux lettres qu’elle contenait) par l’inculpé et nous signons nous-même, ainsi que le greffier.

Indépendamment de la lettre qui vient d’être saisie et dont je viens de vous donner connaissance, on a saisi à votre domicile différentes pièces :

Lettre A :

1° Un cahier de souvenirs

L’Almanach du Père Peinard pour 1894

3° Sous la cote B. Plusieurs chansons sur feuilles séparées.

4° Sous la lettre C : une chanson imprimée avec une note manuscrite au verso

5° Sous la lettre D : une numéro du Père Peinard du 1er au 8 octobre 1893.

L’inculpé après avoir examiné ces pièces, déclare qu’elles ont bien été saisies chez lui.

Nous les lui faisons signer Ne variatur et nous les signons nous même avec le greffier.

L’inculpé reprend : « Les chansons portées dans le cahier ont été écrites par ma femme. »

Ce sont des copies qui ont été prises n’importe où.

L’Almanach du Père Peinard a été déposé et à paru dans les les premiers jours de décembre, c’est à dire avant la promulgation de la nouvelle loi, sinon je ne l’aurais pas acheté.

Les chansons portées sous la cote B ont été copiées, il y a longtemps, je ne sais où par ma femme. Je ne saurais dire qui a écrit ce qui n’est pas copié par ma femme.

J’ajoute que tout cela doit avoir déjà passé sous les yeux de l’autorité dans les précédentes perquisitions.

La note manuscrite écrite au verso d’une chanson (sous la lettre C) est très ancienne et est depuis très longtemps chez moi.

Je ne sais pas par qui elle a été écrite.

Le n° du Père Peinard, du 1er au 8 octobre, a été acheté par moi dans les mêmes conditions que l’Almanach.

Je dois vous dire que l’Almanach du Père Peinard a été en vente à la gare, ainsi que le Père Peinard et je crois bien qu’ils doivent y être encore s’ils n’ont pas été saisis. Il faudrait donc poursuivre la librairie Hachette aussi bien que moi.

Q. Voulez-vous nous fournir une dernière fois des explications sur la phrase de la lettre de Meunier à votre adresse :

« Le bal qui devait avoir lieu le 25 courant a raté et pour cause » ?

R. Probablement, on avait organisé à Brest pour le 25 décembre, une soirée suivie de bal et cette soirée n’a pu avoir lieu. Voilà comment j’interpréterais cette [illisible] de Meunier.

Q. Vous êtes en rapport constant avec Dubois, Philippe, Chevry ?

R. Pour Dubois, pendant la grève, j’avais besoin d’un ouvrier pour un coup de main, je suis allé à la Bourse du travail demander l’un des plus nécessiteux et on m’a désigné Dubois, c’est ainsi que je l’ai employé pendant 3 semaines.

En ce qui concerne Chevry, voilà un an ou deux que je n’ai pas de rapports avec lui. Du reste, je n’en ai jamais eu de bien sérieux, considérant l’homme comme peu digne d’intérêt.

En ce qui concerne Philippe, nous avons été socialistes ensemble, nous nous sommes trouvés à toutes les réunions publiques et nous professons les mêmes théories.

Q. Les publications que vous avez chez vous sont dangereuses et indiquent que vous êtes le correspondant habituel des rédacteurs du Peinard ?

R. Dans les premiers temps, j’ai été le correspondant du Père Peinard, auquel j’envoyais des faits divers. Mais il y a 2 ans que j’ai cessé.

Je ne suis pas de ceux qui prennent tout ce qu’ils reçoivent comme article de foi et je me réserve toujours le droit de discuter.

Q. Ne savez-vous pas que plusieurs anarchistes militants d’Angers auraient tenus des propos établissant le dessein de faire déposer une bombe sur une des usines de la ville ?

R. Jamais je n’ai entendu parler de cela. Ça ne peut avoir été dit que par des gens ayant intérêt à nous nuire.

Notamment en ce qui concerne Philippe, c’est un penseur, un théoricien, mais il est bien incapable de faire cela.

Lecture faite l’inculpé signe avec nous et le greffier.

2 U 2-142 Archives départementales du Maine-et-Loire

Lire le dossier : Les anarchistes à Angers : premières victimes des lois scélérates