Le Père Peinard du 10 avril 1892, saisi chez la mère de Hamelin. Document Fragments d’histoire de la gauche radicale.
Interrogatoire d’Hamelin Emile par le juge d’instruction d’Angers, le 19 mars 1894
Je me nomme Hamelin Emile, âgé de 30 ans, fendeur d’ardoise, demeurant sur les Plaines, commune d’Angers, né à Trélazé le 7 février 1864, fils de feu Pierre et de Marie, Marion, célibataire, lettré.
J’ai été tiré au sort à Angers, j’ai eu le n° 78 de la classe 1884.
J’ai été condamné une fois.
Q. Vous êtes inculpé d’association de malfaiteurs et d’entente dans le but de commettre ou de préparer des attentats contre les personnes ou les propriétés ?
R. Je ne fais partie d’aucune association et je ne fais aucune propagande. J’étais vendeurs de journaux rien de plus.
Q. Vous faites parti d’une association d’anarchistes et même de plusieurs.
Nous n’en voulons pour preuve que votre existence depuis le mois de septembre 1893.
A cette époque là vous étiez vendeur de journaux anarchistes à Saint-Nazaire et vous habitiez chez le sieur Vence chez lequel se réunissaient également les anarchistes du pays.
R. Nous ne formions pas de groupe.
Q. Vous avez également connu Guillemin de Saint-Nazaire ?
R. Je le connaissais pour m’acheter le Père Peinard.
Q. De Saint-Nazaire vous êtes parti pour Brest au mois d’octobre dernier.
Là vous êtes retourné à Keranfurus Izella, avec Meunier et vous y étiez encore quand Meunier a été arrêté, habitant chez Bizien où était le lieu de rendez-vous des anarchistes de la contré ?
R. Je reconnais que j’étais locataire chez Bizien et que j’avais Meunier comme voisin.
Q. En partant de Brest qu’êtes-vous devenu ?
R. J’ai quitté Brest le 12 mars courant avec l’intention de venir à Trélazé avec ma compagne, mais elle s’est blessée et nous avons pris le train à Morlaix pour Angers. Nous sommes arrivés le mercredi 14 du [illisible].
Q. Dans la perquisition qui vient d’être faite chez votre mère, divers papiers ont été trouvés vous appartenant et notamment un numéro du Père Peinard du dimanche 10 au 17 avril 1892.
Vous habitiez donc Paris à ce moment là, boulevard de Clichy, chez Dupont ?
R. En effet je m’étais logé à cette adresse là en sortant de Mazas où j’ai été détenu après l’attentat de Ravachol. Ma maîtresse détenue en même temps que celle de Dupont avait fait la connaissance de cette dernière et quand je suis sorti de Mazas et c’est là que j’ai été habiter et alors j’ai envoyé le journal de chez Dupont à ma mère.
J’étais vendeurs de journaux à Saint-Quentin quand j’ai été arrêté, j’y suis retourné après ma libération, après être resté 15 jour à Paris.
Q. Pourquoi donc aviez-vous été arrêté après l’attentat de Ravachol ?
R. Pour la même raison qu’aujourd’hui sans doute. Sans doute qu’on m’accusait d’avoir jeté la bombe.
Q. Il paraît que vous avez connu Pauwels ? A quel moment l’avez-vous connu ?
R. Je suis parti d’Angers le 6 avril 1890 et j’ai été travailler dans une teinturerie chez M. Petitdidier à Saint-Denis. Pauwels travaillait alors à Saint-Denis et c’est là que je l’ai connu au café, par ci, par là…
Q. A quel moment avez-vous habité au Havre ?
R. De Saint-Quentin, je suis allé à Fourmies au mois de mai 1891.
De là à Roubaix pendant 4 ou 5 mois.
Puis j’ai habité au Havre pendant 4 ou 5 mois, dans l’hiver 1892-1893. C’est au Havre que j’ai connu le sieur Poëtte qui était un acheteur du Père Peinard.
Q. Où habitait Poëtte ?
R. [illisible] de Paris.
Q. Comment se fait-il que vous avez été trouvé depuis cette époque [illisible] de papier à lettre et d’enveloppes avec l’entête « Poëtte, 72 rue de Paris Le Havre », papiers et enveloppes que vous distribuiez à tous les compagnons vos amis, pour leur permettre de correspondre, sans exposer leurs correspondances à une saisie ?
R. C’est Poëtte qui m’a donné ce papier et ces enveloppes avant son départ du Havre.
Q. Dans quel but en avez-vous distribué ainsi que je viens de vous le dire, à tous vos amis, notamment à un sieur Dupiat Alfred, dit Durand Emile qui a été poursuivi en avril 1893 à Paris, pour association de malfaiteurs ?
R. Si j’ai connu cet individu là, ce n’est pas sous ce nom là.
Q. Vous avez quitté le Havre au mois de mars 1893 et au mois de janvier 1894, vous avez encore pour en prêter à Brest au nommé Meunier ?
R. J’en ai même encore dans ma malle. Je m’en suis toujours servi sans arrière pensée.
Q. Il résulte des renseignements recueillis sur vous et de votre interrogatoire que depuis votre départ de Trélazé en janvier 1890 avec les les anarchistes les plus violents des différentes régions où vous avez passé ?
R. La violence ne se lit pas sur le visage. Je ne puis pas savoir si les anarchistes que je voyais étaient violents ou ne l’étaient pas.
Q. Pourquoi changiez-vous ainsi de pays constamment ?
R. Parce que quand j’arrive dans une ville, que c’est nouveau, je vends beaucoup, après cela la vente diminue…
Q. On vient de saisir parmi vos papiers une lettre de Pouget, le directeur du Père Peinard avec lequel vous étiez dans les meilleurs termes, puisqu’il vous appelle « cher copain » ?
R. Il m’écrivait sans me connaître parce que j’étais abonné et que je vendais quelques journaux du Père Peinard.
Q. Qu’était-ce que la société « Les Egaux angevins » dont vous faisiez partie en 1889 ?
R. C’était un groupe socialiste dont faisait partie mon frère qui est parti à Buenos-Aires depuis 1889.
Q. Pourquoi avez-vous quitté Brest ces temps-ci ?
R. Ne recevant plus ni de Père Peinard, ni la Révolte, comme ma mère a quelque fortune sur Les Plaines, j’ai trouvé plus avantageux de venir la rejoindre. Quant à moi, je réprouve les actes de violence.
Lecture faite, l’inculpé ne signe avec nous et le greffier, s’y refusant.
2 U 2-143 Archives départementales du Maine-et-Loire
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