Meunier avait adressé un billet à Guillemin depuis Nalliers où demeurait sa mère.

Tribunal de Saint-Nazaire (Loire-Inférieure)

Cabinet du juge d’instruction

Saint-Nazaire le 26 février 1894

Monsieur le procureur de la république

J’instruis contre le nommé Guillemin, détenu sous l’inculpation d’infraction aux lois du 18 décembre dernier.

Au cours d’une perquisition, il a été trouvé au domicile de cet individu une note du conférencier Meunier, actuellement poursuivi à Angers, où il prie, en 1892, l’inculpé de lui envoyer des fonds chez M. Jolly-Thouseau. Cultivateur à Nalliers (Vendée). Il demande le secret sur cette correspondance et il exprime la crainte d’être arrêté au milieu de sa famille.

Je me propose de faire pratiquer une perquisition au sus-dit domicile à l’effet l’effet, notamment de saisir la correspondance du détenu mais je désire, avant tout, avoir des renseignements sur le compte du sus-nommé Jolly-Thouseau. Passe-t-il pour avoir des idées anarchistes ? Est-il parent de Meunier qui a dirigé la grève d’avril dernier à Angers ? Une perquisition pourrait-elle aboutir ? Quelle est la nature de ses relations avec Meunier ?

Où demeure la famille de Meunier ? Quelle est la réputation, quelles sont les idées des père et mère de Meunier. Une perquisition faite dans le but ci-dessus visé parait-elle devoir aboutir à un résultat ?

J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me faire parvenir ces renseignements le plus tôt possible.

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Copie du billet adressé par Meunier à Guillemin et saisi dans les papiers de ce dernier.

Si tu peux disposer de quelques sous à la fin de la semaine, comme tu m’en a parlé, envoie les dès samedi soir ou dimanche matin, de façon à ce que je les reçoive lundi au plus tard. En restant plus longtemps ici, je craindrais que l’on vienne m’arrêter au milieu de ma famille.

Et partir de nuit m’est difficile, puisque cette sacrée galette manque.

Cette note n’est que pour toi, n’en parle pas.

Si je reçois des fonds – mais ne vous gênez pas pour m’en envoyer, toi surtout, si je savais que vous vous priveriez pour moi, je me fâcherais. Mieux vaut être arrêté et mis en prison que de faire souffrir les siens – Je partirai d’ici mardi prochain.

Adieu.

Voici mon adresse : M. Meunier chez M. Jolly-Thouseau. Cultivateur à Nalliers (Vendée)

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Tribunal de première instance d’Angers

Cabinet du juge d’instruction

Angers le 11 mars 1894

Monsieur le juge d’instruction et cher collègue,

Je vous serais reconnaissant de me faire connaître, afin que je puisse joindre ces renseignements à l’information que je poursuis contre le sieur Meunier, pour association de malfaiteurs :

1° Quelle est exactement l’inculpation dont le sieur Guillemin est actuellement l’objet.

2° Quelles serait les suites probables de l’information ouverte contre ce dernier.

3° Et enfin quels sont, d’après votre procédure, les rapports qui ont existé entre Guillemin et Meunier.

Le juge d’instruction

Prière de vouloir bien, si c’est possible m’envoyer ces renseignements par retour du courrier.

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Tribunal de Saint-Nazaire (Loire-Inférieure)

Cabinet du juge d’instruction

12 mars 1894

Monsieur le juge d’instruction et cher collègue,

Je m’empresse de répondre aux trois questions posées par votre lettre ci-jointe.

Guillemin est inculpé d’affiliation à une association de malfaiteurs. Il a fait une grande propagande anarchiste jusque vers septembre dernier ; il ne paraît pas possible de faire tenir pour cette période l’affiliation ; la propagande est manifeste ; il y a aussi des réunions tenues à jour fixe avec d’autres anarchistes de Saint-Nazaire, en un mot pour la période antérieure à la loi du 18 décembre dernier, l’affiliation est à mon appréciation bien établie. Pour la période subséquente, la question est plus délicate mais j’espère cependant que la poursuite aboutira, surtout à la suite de nouveaux renseignements que je viens de recevoir à l’instant même de la poste. Il y a 3 semaines Guillemin recevait des placards intitulés « A Carnot le tueur » qui ont été saisis à la poste par ordre supérieur ; ce fait me paraît très grave, car l’inculpé est connu pour avoir à plusieurs reprises en 1893, affiché des placards anarchistes. On s’adressait à lui pour faire de la propagande, c’est ce qui fait à mon avis l’importance de ce nouveau renseignement.

Guillemin a fait venir Meunier à Saint-Nazaire, pour faire des conférences, mais leurs rapports paraissent avoir cessé au commencement de septembre dernier à la suite d’une brouille. Je ne me suis occupé de Meunier qu’à cause des papiers saisis chez Guillemin et notamment d’une lettre écrite à l’époque de le grève d’avril dernier à Angers ; je ne puis établir que Guillemin est resté en rapports avec Meunier depuis septembre dernier.

2 U 2-143 Archives départementales du Maine-et-Loire

Lire le dossier : Les anarchistes à Angers : premières victimes des lois scélérates