Rapport
Le 19 avril 1893, alors que toutes les fabriques textiles étaient en grève à Angers, un groupe de grévistes au nombre de 1500 environ et parmi eux les nommés Meunier et Ménard, anarchistes bien connus qui avaient harangué les grévistes dans la même journée sur le Champ de manœuvre et sur la place Rochefoucault Liancourt, sont arrivés spontanément dans le Cirque à Angers pour y faire une réunion publique. Le soussigné y a été envoyé aussitôt et ayant choisi sa place près de la scène où devaient se tenir les orateurs, non encore arrivés, a été expulsé et poursuivi à la course à travers les coulisses par une bande d’individus qui sont restés inconnus.
Les sieurs Mitonneau et Durand se trouvant dans les couloirs ont été avertis de ce fait et l’on dit à Meunier et à Cantal qui a fait comprendre à la foule que la réunion ne pourrait être tolérée qu’avec la présence d’un délégué administratif. Le nommé Meunier a dit à la foule : « Puisqu’il faut subir la police. Laissons là » ; Le bureau s’est formé d’office et le nommé Meunier a pris la parole. Il a dit que les circonstances étaient propices pour voter la grève générale à Angers. Que demain, il arriverait le même fait dans un grand nombre d’autres villes. Que le peuple et les travailleurs étaient le plus grand nombre. Qu’il faut en finir avec les jouisseurs, etc..
Enfin il a été extrêmement violent. Cependant le soussigné ne peut se rappeler textuellement les mots qu’il a prononcés.
Le terrain étant ainsi suffisamment préparé, le nommé Ménard de Trélazé (qu’on ne supposait encore que socialiste à cette époque) a escaladé la scène et a aussi pris la parole. Il a commencé par dire ces paroles : « Moi aussi je suis anarchiste et c’est après avoir bien réfléchi. Je veux la révolution et par les moyens que vous savez ». Personne n’a pu se méprendre et d’après le ton de ces paroles, il était suffisamment prouvé que les moyens étaient violents. Bernard a encore dit : « Citoyens, on vous demande une chose grave en vous demandant de voter la grève générale. Réfléchissez bien. Elle pourrait être longue et amener beaucoup de peines et de misères, mais si vous désirez changer votre position : votez là et nous marcherons tous ». On a ensuite mis aux voix la grève générale et elle a été votée à l’unanimité.
Tous les votants supposaient ainsi que tous les ouvriers de tous les corps de métiers allaient faire grève puis ensemble chasser les bourgeois et les jouisseurs comme disait Meunier et Ménard disait : « chacun son tour d’avoir l’assiette au beurre ».
La réunion qui avait duré ¾ d’heure environ a été terminée sur ce vote. Les ouvriers de Trélazé ont refusé de se mettre en grève générale et quoique Ménard avait promis dans la réunion que la grève allait gagner Trélazé à la suite du vote de grève générale.
Angers le 27 mars 1894
Le commissaire de police
2 U 2-143 Archives départementales du Maine-et-Loire
Lire le dossier : Les anarchistes à Angers : premières victimes des lois scélérates