Je me nomme Meunier Auguste, Régis déjà interrogé.

Q. Veuillez nous faire connaître quels ont été votre rapport avec le sieur Guyard de Bréville ?

R. J’ai fait la connaissance de Guyard à Brest, où il vendait des journaux, la seconde fois que je suis allé, moi-même à Brest. Ce devait être dans le courant du mois d’août dernier, au moment des élections, Guyard s’était porté comme candidat et c’est ainsi que je l’ai connu.

Guyard buvait beaucoup d’absinthe et il déraisonnait 9 fois sur dix, se disant tantôt anarchiste, tantôt socialiste, tantôt républicain…

Quand Guyard a quitté Brest pour aller à Rennes comme ouvrier de la maison Singer, je lui ai écrit deux lettres pour le rappeler à Brest où je pensais qu’il trouverait à s’employer.

Nous présentons à l’inculpé les deux lettres écrites par lui au sieur Guyard de Brest, les 12 et 25 octobre 1893, et nous lui faisons signer Ne variatur, après les avoir signées nous-mêmes et notre greffier.

Votre première lettre ne présente rien à relever.

Q. Dans la seconde, vous entretenez Guyard des projets qu’il forme et vous cherchez à le calmer ; de quoi s’agit-il ?

R. Il s’agissait de la femme Dupuis que Guyard voulait enlever, malgré mes conseils.

Q. Quel était le prénom de la femme Dupuis ?

R. Louise

Q. Guyard était-il un anarchiste militant ?

R. Mais non. Il vendait des journaux anarchistes quand il se trouvait dans la dèche. Ensuite il s’est présenté à la députation, mais je ne saurais dire combien de voix il a eu, il comptait toutes les abstentions pour lui.

Q. Vous persistez à déclarer que Hamelin possédait les papiers et les enveloppes avec les entêtes « Poëtte, 72 rue de Paris – Le Havre » qu’il avait reçu au Havre, et que s’est ainsi qu’il a pu vous en donner à Brest ?

R. Oui, monsieur.

Q. Hamelin n’est certainement pas assez fort pour avoir eu l’idée de fabriquer ce papier et ces enveloppes pour les distribuer aux anarchistes.

Pendant 4 ans, il a essayé à Trélazé d’apprendre à faire des ardoises, il n’a jamais pu y arriver.

R. En effet Hamelin est de Trélazé.

2 U 2-142 Archives départementales du Maine-et-Loire

Documents :

Brest. 25 octobre 1893

Mon ami,

Je ne veux point me souvenir que j’ai porté le froc et te faire un long sermon, non, mais qu’il me soit cependant permis de te faire remarquer dans quelle voie tu t’engages.

As-tu pesé toutes choses ?

As-tu pensé, réfléchi suffisamment en tout ?

L’Avenir… le temps et avec lui la société, pire encore parfois ; et la difficulté matérielle : départ, position, etc… etc…

Évidemment je n’ai ni à approuver, ni à désapprouver quoi que ce soit, c’est ton affaire, votre affaire, arrangez-vous comme vous l’entendez.

Mais je m’intéresse à vous, vous êtes mes amis et…. j’ai peu pour vous.

En tout cas, tu devrais être plus accommodant que tu ne l’es, j’oserais même dire plus raisonnable et tu n’as plus 15 ans, bon dieu !

Mon avis, que tu ne demandes point, mais que je donne quand même, est que tu devrais d’abord :

Écris à celui que tu sais, ne serait-ce que pour éviter toutes sortes de suppositions de sa part, suppositions défavorables pour toi ;

Ensuite, revenir habiter Brest et pour toi, et pour d’autres, et pour la propagande qui y gagnerait la première.

Que feras-tu ?

Ce que tu voudras, bien entendu, mais …………… que de choses je prévois.

Je n’ai pas besoin de te dire que tu peux compter et sur mon amitié et sur ma discrétion.

Rien de bien nouveau à t’apprendre autrement – la propagande est toujours assez bonne, et le reste va cahin-caha.

En attendant le plaisir de te lire et de te revoir à Brest.

Cordiale poignée de main.

Tout à tous et à l’anarchie.

R. Meunier

*******************************

Brest le 12 octobre 1893

Mon ami,

Je suis à Brest depuis lundi dernier – le même jour de ton départ pour Rennes, parait-il.

J’ai vivement regretté de ne pouvoir te serrer la main – à mon arrivée, mais ce qui est différé n’est pas perdu car le patelin que tu habites n’est pas tellement éloigné, que je ne puisse un jour ou l’autre m’y trouver.

J’ai déjà commencé à savater, Dupuy, toujours aimable, m’a procuré tous les articles nécessaires. Ca ira, je le crois du moins.

Samedi prochain Conférence aux Treillis-Vert. Sujet : de l’Anarchie dans la [illisible]

Je te remercie de ton bon souvenir et te prie de donner de tes nouvelles le plus souvent que faire se pourra.

J’embrasse à l’instant et Gaston (?) et Sarah pour toi.

Comment ça va là-bas ?

Ne pourrais-tu aussi bien travailler à Brest qu’à Rennes ?

Cordiale et vigoureuse poignée de main, mon ami et bon courage.

Tout à tous et à l’anarchie.

R. Meunier

2 U 2-143 Archives départementales du Maine-et-Loire

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