Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Quatorzième épisode. Perquisition à la colonie. Fortuné renoue avec les injures contre toutes les autorités. Taffet arrêté.

Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.

Dans le n°31 du Cubilot du 4 août 1907, Taffet donne l’épilogue de l’expédition punitive menée le 18 juin 1907, contre Domelier le rédacteur en chef de la Dépêche des Ardennes : « Notre camarade Pierre, qui fut l’objet de la grande sollicitude des juges du tribunal correctionnel de Charleville1, aura à subir deux mois de prison, pour avoir infligé à M. Domelier une correction bien méritée… Ce Domelier lui, n’avait-il pas, à Sedan, l’an passé, entré dans les bureaux de Sedan-Journal, et lui-même frappé le rédacteur, M. Bourguignat. Le tribunal lui infligea 15 francs d’amende.

Pourquoi n’a-t-il pas infligé le même tarif à notre ami ? »

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

Le 2 juillet 1907, la Dépêche des Ardennes prend sa revanche en annonçant que « le juge d’instruction se serait transporté à la colonie d’Aiglemont, accompagné d’une brigade de gendarmes, pour procéder à une perquisition au domicile de Fortuné Henry ». Le Cubilot évoque le cadre de l’affaire, dans ses colonnes, en prenant position en faveur de Matha, l’ami de Fortuné et qui se trouve inculpé dans une affaire de faux-monnayeurs : « Matha était un peu l’âme du Libertaire ; en tout cas Matha dehors c’était un danger pour nos gouvernants, une propagande sage et méthodique qui portait beaucoup de fruits.

Lui faire ouvertement un procès de tendances, c’était une condamnation problématique, peut-être l’acquittement et cela il ne le fallait pas.

Alors, s’est échafaudé l’affaire des faux monnayeurs et une caisse contenant des pièces de 2 francs en toc (sans doute fabriquées par quelque sous-Hamard) tandis qu’on poursuivait des pièces de 10 francs, étaient déposées dans les bureaux du Libertaire. »

Pour Fortuné, Matha est non seulement un vieil ami, c’est aussi celui avait tenté de dissuader son frère Emile de commettre l’attentat du café Terminus.

Fortuné lance un appel dans le Cubilot2 : « Il faut que chacun proteste, qu’on exige justice, qu’on arrache l’innocent Matha aux griffes des Briand qui ont mangé à sa table et des Clémenceau qui se sont servi de lui, comme de tant d’autres, lors de l’Affaire3 »

L’enquête contre Matha fait découvrir dans la caisse contenant du matériel de fausse-monnaie, saisie dans la cour du Libertaire, un numéro du Cubilot. Il n’en faut pas plus à la police pour diligenter des poursuites à Aiglemont.

Le Cubilot évoque dans ses colonnes cette perquisition à la colonie4 :  « Lundi dernier, premier juillet, alors que les différents camarades de la colonie communiste d’Aiglemont se séparaient, allant au travail qui presse en cette saison; tandis que leurs efforts se portaient sur tous les points de leur multiple activité, le juge d’instruction Garnier, du parquet de Charleville, flanqué de trois inspecteurs de la Sûreté générale et de nombreux gendarmes épiaient ce nouveau phalanstère et guettaient le moment de s’y introduire sans danger.
Seuls un camarade malade et une compagne étaient les gardiens du vaste immeuble.
Veuves de serrures, les portes furent facilement et victorieusement emportées et la grande salle, où jusqu’à présent, ne s’étaient réunis que des camarades convaincus et ardents, fut militairement occupée par la tourbe policière.
Le motif invoqué pour cette violation de domicile, pour cette inquisitoriale perquisition qui alla jusqu’à fouiller dans les pots de confitures et des conserves d’oseille récemment confectionnées était une commission rogatoire délivrée par le parquet de la Seine pour rechercher à la colonie libertaire d’Aiglemont un matériel de faux-monnayeurs!
…………………………………
Et c’est avec un ciseau comme pince-monseigneur que ces sous-Clemenceau, professionnels de ces besognes, ont cambriolé la modeste caisse qui contient notre pain, si péniblement gagné.
………………………………….
Le couronnement de l’œuvre rédactrice tendancieuse et antirévolutionnaire de nos ministres actuels,va consister à édifier le complot le plus ignoble du siècle : il est déjà commencé, par des manœuvres policières devant lesquelles Piétri aurait reculé : Matha, le gérât du Libertaire, est depuis un mois et demi sous les verrous, quoique innocent.
Aujourd’hui c’est la colonie d’Aiglemont, groupe d hommes que la haine des industriels de la vallée et des plumitifs a leur solde n’empêchera pas de poursuivre 1’œuvre de propagande.
Aujourd’hui c’est le Cubilot qu’on voudrait déconsidérer et étrangler, demain ce sera l’Union des syndicats ou les militants les plus dévoues qui seront diffamée ou salis.
C’est au prolétariat ardennais, a qui nous n’avons jamais rien demandé et à qui nous ne demanderons jamais rien de se tenir sur ses gardes. Qu’aucune diversion ne vienne le détourner de l’émancipation où il va à grands pas.

…………………………………………………………..
A tous les syndicats, à tous les révolutionnaires, à tous ceux qui n’ont pas du pissat d’âne dans les veines, nous nous bornons à affirmer qu’à la colonie libertaire d’Aiglemont un ne fait que du communisme, rien que du communisme, de la propagande syndicale et pas de politique.
La fausse monnaie, ce soie les bandits et les tenanciers du pouvoir qui la frappent et l’écoulent, édifiant leur puissance et leur fortune sur la seule vraie monnaie qui soit :
notre travail et notre sueur.
Pour les aider a ces besognes sales qui consistent a triompher par tous les moyens, nos histrions et nos homoncules avaient deux magistratures cataloguées : la magistrature debout qui requérait et la magistrature assise qui condamnait par ordre.
Ils ne peuvent manquer de réussir puisque aujourd’hui ils ont en plus une magistrature à plat ventre, celle qui cambriole. »

On peut supposer que le juge d’instruction en charge de l’affaire ait pu penser que l’Essai servait de base arrière aux faux-monnayeurs. Quoi de plus isolé que la clairière pour couler des pièces de monnaie ?

La presse nationale se fait l’écho de cette perquisition : La Petite république, Le Journal ou le Petit parisien : « Le journal de l’anarchiste Fortuné Henry annonce que des perquisitions ont été opérées dans la colonie communiste d’Aiglemont par le juge d’instruction de Charleville, assisté d’agents de la sûreté et de gendarmes, pour rechercher un matériel de faux monnayeur.

Ces perquisitions, qui se rattachent à l’affaire Matha, n’ont donné aucun résultat. »5

Le 13 juillet 1907, la CGT organise plus de 100 meetings6 dans tout la France, sous l’intitulé « Contre les crimes légaux », pour protester contre la répression des vignerons dans le Sud de la France et contre l’incarcération de dirigeants du syndicat. A Mézières, un meeting est prévu avec Taffet et Fortuné Henry.

La réunion de Mézières est organisée par le syndicat de la métallurgie de Charleville. Le maire accorde la salle puis revient sur sa décision, lorsqu’il s’aperçoit qu’elle est organisée par la CGT.

Vers 21 heures, une centaine de personne, croyant que la réunion a lieu, se groupe aux abords de la salle en attendant l’ouverture, mais ayant apprenant le retrait d’autorisation, protestent et décident de tenir le meeting.

Vers 22 heures trente, Henner, ajusteur aux ateliers de la compagnie de l’Est, invite l’assistance à attendre l’arrivée de Fortuné Henry. Celui-ci arrive peu après et la réunion se tient en plein air.

Fortuné s’élève en termes violents contre les agissements du ministère Clémenceau. Il fait le procès des événements actuels, notamment des troubles du Midi, les condamnations de Bousquet, Yvetot, Marck et à ce propos traite Clémenceau, Briand et Viviani de « sinistres canailles ». A ce moment là le commissaire spécial de Charleville s’approche de lui et dresse procès-verbal, pour infraction à la loi de 1881.

Fortuné déclare passer outre et vouloir continuer. Il proteste contre l’intrusion de l’autorité qui ne suffit pas « à forcer un citoyen à obéir 7». Poursuivant son discours, il déclare que « le gendarme, le commissaire de police, le magistrat, le ministre étaient des criminels » mais avec cette réserve : « lorsqu’ils acceptent ces fonctions et dans une société transformée, on n’aurait plus de flics, premier, deuxième et troisième, ni la vache première Clémenceau avec toute sa valetaille, parce qu’ils crèveraient de faim. ». Il ridiculise la fête nationale en la qualifiant de « mascarade »

Il termine en disant qu’il existe en France 4.500 syndicats ouvriers et que le jour où tous seraient affiliés à la CGT, ce jour-là, les Clémenceau ne pourraient plus enrayer le flot, par ce que les syndicats seraient les maîtres.

Taffet prit la parole à sa suite, faisant allusion à la grève de Revin, il attaque le syndicat patronal. Il exalte la mutinerie du 17ème : « le 17ème de ligne a fait acte de conscience ». Il a condamné la décision prise contre les soldats de les envoyer sous le soleil de plomb d’Afrique. Il conclut son discours en criant : « A bas l’autorité, à bas le pouvoir. »

Après le meeting qui ne prend fin que vers minuit, les assistants, au nombre de 150, se dirigent du côté de Mohon en chantant des refrains révolutionnaires. Ils sont dispersés rapidement par la gendarmerie.8

Le 16 juillet le procureur général de Nancy, adresse un courrier au garde des sceaux, il estime que « les propos tenus par ces deux orateurs constituent le délit d’injures publiques envers des membres du ministère, prévu par l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881. »9

Il attend les instruction du ministre de la justice, avant de faire requérir l’ouverture d’une information.

Le 26 juillet 1907, le préfet des Ardennes adresse un rapport très complet au ministre de l’intérieur sur les poursuites à engager contre Fortuné Henry et Taffet : « J’ai l’honneur de vous adresser l’avis que vous voulez bien me demander au sujet des poursuites que M. le procureur général de Nancy se propose d’intenter contre les sieurs Fortuné Henry et Taffet, qui ont tenu des propos injurieux au cours d’une réunion publique à Mézières.

1° En ce qui concerne Fortuné Henry : se dit né à Brévannes (Seine et Marne). Il est le frère de Henri Emile, l’anarchiste qui fut condamné à mort et exécuté à la suite de l’attentat dont il s’était rendu coupable à Paris. Il est le fondateur et le chef de la colonie libertaire qui s’est installée sur le territoire de la commune d’Aiglemont, près Charleville, avec la prétention de s’y soustraire au régime des lois françaises. Cette colonie, qui compte une vingtaine de membre des deux sexes, semble vivre de la culture du sol, emprunté en partie à des terrains communaux dont la municipalité lui tolère l’occupation. La proximité du territoire belge permet à la colonie de se procurer, à bas prix, certaines denrées, sans en faire cependant l’objet d’un commerce. C’est ce qui explique que les démêlés de la colonie avec la douane, n’ont pas eu jusqu’alors d’autre suite juridique.

Mais la véritable profession d’Henry est celle de journaliste. Il dirige le Cubilot, feuille anarchiste qui est imprimée en Belgique et qui réédite sous la forme la plus violente, tout ce qui est imprimé en France contre la société, contre le parlement et contre le gouvernement.

Cette feuille est principalement vendue dans la région industrielle du Nord du département, elle est le principal organe de la Confédération Générale du Travail. Un numéro avait été spécialement rédigé, en vue des manifestations projetées par la CGT, pour la veille et pour le jour de la fête nationale. De nombreux émissaires étaient chargés de la distribution gratuite de ce numéro aux ouvriers et aux soldats de la garnison de Mézières.

Le 13 juillet, à 8 heures, une réunion préparatoire des ouvriers syndiqués avait lieu à Mohon. Henry et Taffet comptaient voir se grouper autour d’eux de nombreux adhérents pour se rendre ensuite à Mézières, sous prétexte de conférence organisée par le syndicat de la métallurgie de Charleville, mais en réalité pour s’y livrer à une manifestation pendant la retraite militaire. Leur espoir fut trompé : ils ne furent suivis que par quelques groupes trop espacés et peu nombreux. Ce ne fut donc que vers 10h ½ du soir seulement que Henry et Taffet arrivèrent ensemble sur la place du Château, où se trouve la salle du gymnase municipal que le maire avait d’abord mise à leur disposition, puis refusée après plus ample information. Henry tint néanmoins en plein air la conférence annoncée : une centaine de ses partisans, tout au plus, l’entourait.

Je ne puis que m’en rapporter pour ce qui suivit aux détails fournis par M. Krier, commissaire spécial (pièces jointes) détails qui ont été surabondamment confirmés par d’autres personnes présentes et que les sieurs Henry et Taffet ne songeront vraisemblablement pas à nier.

Les vendeurs du Cubilot distribuaient le journal aux soldats du 91e d’infanterie. Document Archives départementales des Ardennes.

Le lendemain 14 juillet, quelques distributeurs du Cubilot qui poussaient des cris antimilitaristes et criaient aux soldats de faire comme le 17e, furent arrêtés, mais Henry ne s’était pas montré, bien que, à n’en pas douter, il eût été l’organisateur de ces tentatives de désordre.

En résumé Henry est un anarchiste d’autant plus dangereux que par la plume et par la parole, il est parvenu à exercer sur les populations ouvrières de la vallée de la Meuse, de Mohon à Givet, une certaine influence. Il n’a cessé d’être l’objet d’une étroite surveillance pouvant fournir, le cas échéant, les éléments de poursuites judiciaires auxquelles il se sait, d’ailleurs, exposé.

Les faits relevés à la charge du sieur Henry me paraissent donc justifier l’action publique et la réquisition de M. le procureur général.

2° En ce qui concerne le sieur Taffet : Taffet Alphonse, Auguste, né à Thin-le-Moutier (Ardennes), le 31 décembre 1876, ouvrier lamineur, secrétaire de l’Union des syndicats, est l’un des agents les plus actifs de la Confédération Générale du Travail.

Il ne manque aucune occasion de propagande des théories anarchistes et il est l’un des orateurs habituels qui, en cas de grève, provoquent les manifestations et poussent les manifestants à l’action directe.

C’est ainsi notamment que l’on vit Taffet conduire la 10 juin une bande d’individus à l’attaque des bureaux de la Dépêche des Ardennes, journal qui est l’organe de défense des patrons des usines de Revin.

Non poursuivi, parce qu’il s’est tenu en arrière des manifestants, dont l’un d’eux, un sieur Pierre a été condamné à 2 mois de prison, par jugement du tribunal correctionnel de Charleville, en date du 17 juillet dernier, il se vantera plus tard d’avoir provoqué les voies de faits subies par les rédacteurs de la Dépêche des Ardennes ( voir procès-verbal ci joint de la gendarmerie du 20 juin 1907) .

Le 9 juin, à Vireux-Molhain, dans une réunion publique, Taffet dit qu’il ne faut pas laisser les patrons dormir, les nuits, tranquilles dans leurs châteaux, qu’il faut user de l’action directe et l’une de ces nuits, commencer par en réveiller un (voir procès-verbal).

Est-ce à ces conseils ou à Taffet lui-même qu’est dû le jet de la bombe lancée la nuit contre la maison de M. Faure à Charleville, alors que M. Faure est le principal industriel de Revin et le patron qui résiste le plus aux revendications des grévistes ?

Le 20 juin, le même Taffet, dans une réunion à Revin, adresse à ses auditeurs les mêmes encouragements à l’action directe (voir procès-verbal ci-joint de la gendarmerie)

Enfin le 13 juillet, Taffet était avec Fortuné Henry, l’un des exécutants les plus ardents du programme arrêté par la Confédération Générale du Travail pour jeter le désordre partout où l’armée devait prendre part aux réjouissances de la fête nationale.

Je ne cite que pour mémoire l’attitude du sieur Taffet pendant la grève de l’usine Morin à Mohon où il chercha à ameuter les ouvriers des autres établissements pour grossir le conflit, mais en s’abstenant cependant de paraître.

Je conclus que les poursuites dont Taffet est menacé sont, comme pour Henry, amplement justifiées par la nécessité d’une répression et pour les besoins de l’ordre public. »10

Le 24 juillet 1907, le procureur général de Nancy s’inquiète de l’opportunité des poursuites à propos de la réunion de Taffet à Revin le 20 juin. Le ministre de la justice, vient de lui donner le feu vert pour lancer les investigations contre Taffet mais voilà que le substitut de Rocroi l’informe que des pourparler ayant de grandes chances d’aboutir, sont en cours actuellement, en vue de mettre fin à la grève qui dure depuis 3 mois. Des poursuites contre Taffet sont de nature à remettre en cause les négociations. Il est donc urgent d’attendre la fin du conflit, avant de lancer un mandat d’arrêt contre Taffet.

Mais les pourparlers entamés le 25 juillet, par l’intermédiaire du sous-préfet de Rocroi, échouent, les grévistes refusent les propositions patronales et émettent leurs conditions pour une reprise du travail (voir documents).

La situation sociale se tend brusquement à Revin dans la nuit du 28 au 29 juillet, de graves bagarres se produisent, les grévistes en viennent aux mains avec les gendarmes.

Pendant la journée du dimanche 28, un millier de grévistes manifestent depuis le matin. Le soir, un nommé Pierre Lave ayant donné un coup de pied à un gendarme, est aussitôt conduit à la caserne. Les grévistes décident de le délivrer, après avoir sonné au feu pour provoquer un rassemblement.

Devant les gendarmes qui leur barrent la route, ils doivent s’arrêter et forment une barricade, lancent des bouteilles, des pavés sur les gendarmes.

La gendarmerie à cheval doit charger, sabre au clair et opère quatre arrestations. Les prisonniers sont conduits à Rocroi à deux heures du matin, avec une escorte de 16 gendarmes11.

Dès lors les précautions concernant Taffet ne se justifient plus, il est arrêté le 29 juillet 1907.

La Dépêche des Ardennes s’en réjouit : « Taffet a été cueilli hier dans la matinée, dans son local de la rue Victor Cousin, local payé, ainsi qu’on le sait, par la CGT. En prison son attitude est aussi piteuse que celle qu’il avait eu devant le juge d’instruction et à l’audience de la police correctionnelle, lorsque sa victime, l’anarchiste Pierre, était poursuivi pour agression à la Dépêche et ses violences contre notre rédacteur en chef. »12

Notes :

1 Audience du 17 juillet après-midi. Le Petit ardennais 18 juillet 1907

2 n°31 du Cubilot du 4 août 1907

3 L’affaire Dreyfus.

4 Le numéro du Cubilot évoquant la perquisition n’a pas été retrouvé, il fait probablement partie des quatre exemplaires du journal disparus des différentes archives. Cet extrait du Cubilot provient du Libertaire 14 juillet 1907.

5 Le Petit parisien 7 juillet 1907

6 L’Humanité 11 juillet 1907

7 Rapport du commissaire spécial de Charleville du 13 juillet 1907. Archives nationales F7 12910 et F7 15968

8 La Dépêche des Ardennes 17 juillet 1907

9 Archives nationales F7 15968

10 Archives nationales F7 15968

11 Le Courrier des Ardennes 30 juillet 1907

12 La Dépêche des Ardennes 30 juillet 1907

Documents :

REVIN. — La grève. — On nous prie d’insérer cette lettre adressée à M. le Sous-Préfet de Rocroi :

Revin, le 25 juillet 1907,

Nos confrères délégués à la réunion qui a eu lieu mercredi dernier, à la Préfecture viennent de nous en rendre compte.

Des explications qu’ils nous ont fournies, il semble ressortir que le débat a pris une ampleur que ne nous faisaient nullement pressentir vos lettres lorsque vous nous avez instamment priés d’accepter une entrevue avec les ouvriers.

Pour remettre toutes choses au point, nous nous permettons de vous rappeler ces déclarations très nettes que nous vous avons faites dans nos lettres des 8 et 11 courant, à savoir que le règlement affiché dans nos usines, à la date du 22 avril der-nier, ne saurait subir aucune modification, pas plus que les annexes que nous avons portées à votre connaissance.

En ce qui concerne l’article 2 du règle ment, nous acceptons :

1° Que dans les usines non fermées, les ouvriers puissent sortir de l’atelier le temps strictement nécessaire pour se ra-fraîchir.

2° Qu’une tolérance d’une heure soit accordée pour l’entrée du matin, et .que pour la sortie du soir, les mouleurs dont la coulée sera faite et la place mise en ordre, ainsi que les autres ouvriers aux pièces dont la besogne sera terminée, puissent partir au plus tôt une heure avant la sortie réglementaire.

3° Que le principe de la journée de dix heures qui est consacré par la loi restants, toutefois bien établi, tout ouvrier dont loi travail effectif n’aura pas été inférieur, à 110 heures par quinzaine ne soit pas passible des sanctions du règlement.

4° Que la mise à pied restant maintenue, l’ouvrier qui sera l’objet de cette mesure ait toujours la faculté de ne pas l’accepter en prévenant ses six jours.

En ce qui concerne l’article 3 :

Nous tenons à nouveau à affirmer quel nous prenons l’engagement formel de ne jamais inquiéter ni congédier aucun ouvrier pour ses opinions politiques, confessionnelles, son affiliation ou ses fonctions syndicales, pourvu qu’elles ne se manifestent sous aucune forme dans l’intérieur des usines. Mais de même que nous nous déclarons respectueux de toutes les opinions en dehors de l’usine, de même nous tenons à ce que dans l’atelier la neutralité la plus absolue soit observée, que qui que ce soit, qui ne pense pas comme son voisin, n’en subisse aucune atteinte, ni aucun préjudice, soit dans son travail soit dans sa liberté individuelle.

Chaque fois qu’un ouvrier sera de la part d’un contremaître l’objet d’une mesure disciplinaire qui ne lui semblerait pas justifiée, nous serons toujours disposés à l’entendre et à examiner ses réclamations.

Les renvois de l’atelier ne pourront jamais être prononcés que par les patrons ou, en leur absence, par leurs mandataires, fondés de pouvoirs. L’ouvrier qui aurait à présenter des réclamations contre la mesure de renvoi dont il aurait été l’objet, pourra, s’il le désire, être entendu par le patron avant que son renvoi soit devenu définitif.

Il nous est impossible, dans le cas de renvoi d’un ouvrier, d’accepter qu’une délégation intervienne d’office pour demander des explications ; nous voulons rester seuls jugées de l’opportunité de fournir à quelques camarades voisins de cet ouvrier des éclaircissements au sujet de la mesure que nous aurons cru devoir prendre.

Collectes. — Au nom même du principe de la neutralité d’opinions que nous entendons luire respecter dans nos ateliers, nous ne pouvons accepter que des collectes ayant un caractère politique ou syndical y soient faites, même clandestine-ment.

Les autres collectes ou souscriptions ayant un caractère de bienfaisance devraient être préalablement autorisées par nous.

Commissions de travail. — Comme nous l’avons exposé dans notre lettre du 11 juillet, nous maintenons nettement le principe que toutes les réclamations devront être présentées individuellement, et par l’intéressé lui-même; renouvelant à nos ouvriers l’assurance qu’elles seront toujours examinées avec la plus grande bienveillance. Mais nous ne verrons aucun inconvénient à ce que nos confrères qui voudront bien y consentir acceptent, et seulement pour des questions d’ordre général, de bonne tenue des ateliers ou les questions techniques, à l’exclusion de toutes questions de salaires, de donner, dans certains cas exceptionnels, des audiences à une délégation de leur personnel dont les membres auront été préalablement agréés par eux ; sur une liste dressée par les ouvriers et comportant un nombre de noms double de la dite délégation.

L’insuccès de l’entrevue d’hier nous confirme que nous étions dans le vrai en estimant qu’elle n’aboutirait à aucun résultat appréciable. Nous n’avons pas voulu nous y refuser en raison de vos pressant tes instances et par déférence pour les représentants des Pouvoirs publics- qui nouai, avaient offert leur bienveillante médiation, enfin pour bien prouver aux ouvriers que nous étions animés de sentiments de conciliation évidents.

Nous vous serions reconnaissants de donner connaissance de notre lettre aux délégués ouvriers en leur demandant de la communiquer à leurs camarades dans leur plus prochaine réunion générale. Nous nous proposons du reste de rendre cette lettre publique, afin qu’aucun malentendu ne puisse subsister, pour qui que ce soit, sur nos intentions.

Les explications que nous venons de vous donner très loyalement constituent le summum des tolérances qu’il nous est possible d’accorder à nos ouvriers, nous considérons donc qu’une nouvelle entrevue n’aurait aucune utilité.

Nous nous proposons de rouvrir nos ateliers à une date prochaine que nous vous indiquerons ultérieurement, en vous demandant de vouloir bien prendre toutes les mesures d’ordre nécessaires afin quel la liberté du travail soit complètement assurée.

Veuillez bien agréer, Monsieur le Sous-Préfet, l’assurance de nos sentiments les plus dévoués.

Adam Henri, Brichet-Biard et Cie, Brichet-Mathy et Cie, Cieur, Béroudiaux et Cie, Colonval-Poncelet et C°, Despas frères et Aubert, Druart veuve et Cie, Faure père et fils, Henrot-Dugard, Houzelot-Béroudiaux, A. Martin, Mauguière et Béroudiaux, Meunier-Mauguière, Morel André, Noël et Manisse, Société des Etablissements Porcher, Tilquin, H. Vaulet et Cie.

Le Petit ardennais 27 juillet 1907. Archives départementales des Ardennes

REVIN. — La grève. — Nous avions, hier, publié la lettre officielle que les patrons adressaient aux ouvriers grévistes, par l’intermédiaire de M. le Sous-Préfet de Rocroi. Voici, maintenant, par le même intermédiaire, la réponse des ouvriers, aux patrons :

Monsieur le Sous-Préfet de Rocroi,

Nous avons l’honneur de vous accuser réception de votre lettre du 25 courant, en même temps que nous portons à votre con-naissance les décisions du Comité de la grève, approuvées à l’unanimité par la population ouvrière réunie le même jour, à huit heures, cours des Ecoles.

Nous avons constaté que les Commissions de travail, qui avaient été admises par les industriels clans notre réunion à la Préfecture, seulement à titre de tolérance, n’existaient plus dans la lettre que vous nous communiquez. Nous avons également constaté que des mots placés avec intention changeaient complètement le sens de certaines phrases.

Nous pensons qu’il est inutile d’ergoter de cette façon sur des réclamations qui sont justifiées par des faits antérieurs. Nous avons montré tout l’esprit de conciliation nécessité par un conflit d’une telle importance ; depuis trois mois, nous sommes en grève pour protester contre un règlement tout à fait inutile pour la prospérité des industriels; tout en sachant que nous avons des réclamations aussi urgentes, notamment des demandes d’augmentation de salaires dans certaines maisons, et que nous n’avons pas voulu formuler dans la crainte d’aggraver une situation déjà si tendue.

Il n’en est plus de même aujourd’hui, nos patrons viennent de changer la face des choses, en ajoutant deux nouveaux statuts à leur règlement. Il est donc tout naturel qu’à ce défi la population ouvrière établisse bien toutes les revendications qu’elle désire voir aboutir.

Nous avons donc l’honneur, M. le Sous-Préfet, de porter à votre connaissance les réclamations formulées hier en assemblée, en vous priant de les transmettre à MM, les Industriels

1° Suppression complète de la mise à pied.

2° Reconnaissance des commissions de travail et autorisation des collectes com-me auparavant.

3° La paye tous les huit jours avec huit jours de retard.

Les ouvriers des usines de MM. Faure Père et Fils, reconnaissant qu’il leur est impossible d’arriver au taux du salaire journalier normal, avec l’application intégrale de la loi de 10 heures, demandent une augmentation de salaire correspondant à 20 ou 25 %.

Nous demandons également si le Syndicat patronal, reconnaît qu’il lui est impossible de satisfaire à ces réclamations, qu’il veuille bien fermer ses usines, en laissant à chacun le droit d’aller travailler où bon lui semblera. Nous considérons qu’il serait inutile de continuer plus long-temps un conflit qui n’aurait aucune chance d’aboutir, ce qui permettrait également au pouvoir public de lever l’état de siège qui pèse si lourdement sur notre population.

En même temps, que nous vous prions, M. le Sous-Préfet, de recevoir les marques de notre parfaite considération, nous vous adressons les remerciements et les marques de reconnaissance que vous a témoignée hier dans sa réunion toute la population ouvrière de Revin.

Pour le Comité de grève et par ordre :

les Secrétaires, L. Lefèvre, L. Liégeois.

Le Petit ardennais 28 juillet 1907. Archives départementales des Ardennes

(© D. Petit, 2020, tous droits réservés)