22 août 1886
Commissaire spécial près la préfecture du Rhône
Réunion privée des adhérents de l’Association dite : Bibliothèque d’études scientifiques et sociales
Du collectivisme par le nommé Bachelard, socialiste-révolutionnaire.
Compte-rendu de la séance d’une réunion privée des membres du groupe dit Bibliothèque d’études scientifiques et sociales, tenue au siège, avenue de Saxe, 149, le jeudi 19 août 1886.
La séance a été ouverte à 8 heures trois quart du soir et levée à onze heures.
Le nommé Boussi a présidé la réunion.
Le nommé Chavrier, étant absent, la parole a été donnée au nommé Bachelard pour traiter du collectivisme (voir rapport de la réunion du 12 août 1886).
Le collectivisme a dit Bachelard, ne date que de quelques années.
Des écrivains, tels que Collin, Péqueur, Vidal ont bien, dans leurs écrits, donné des notions sur le collectivisme, mais c’était incomplet et ce n’est guère que vers 1867, 1868 et 1869, aux congrès de Bruxelles et de Bâle, que le collectivisme fit son apparition. Et encore, à cette époque n’était-il pas ce qu’il est actuellement.
En effet, au congrès de Bâle, les travailleurs acceptèrent le principe de la collectivité du sol, mais avec cette restriction que les propriétaires devraient recevoir comme indemnité des rentes sur l’État.
Voilà quel était l’esprit des collectivistes à cette époque.
On voulait bien que l’État s’emparât de la propriété, mais à condition d’indemniser les détenteurs.
En 1873, au congrès de Manchester, le drapeau rouge fut adopté comme étant le symbole du sang versé par le peuple pour la liberté ; il a été ensuite adopté par tous les pays car il représente l’unité et la fraternité des races humaines, tandis que les bannières nationales représentent l’hostilité des peuples.
Voilà où en était le collectivisme en 1873.
Bien qu’à ces deux Congrès la majorité ne fût pas collectiviste, il se trouva cependant des délégués qui préconisèrent ces idées.
Nous arrivons alors au Congrès de Marseille en 1879 et nous pouvons bien dire que de cette époque seulement date le collectivisme.
En effet, non pas la majorité, mais bien la presque unanimité des délégués se prononça pour l’expropriation capitaliste et pour la socialisation des moyens de production.
Tous les autres Congrès ont fait de même.
Quant à la différence qui existe entre le communisme et le collectivisme, elle provient seulement de l’application.
Le collectivisme se base seulement sur la société actuelle, sur son égoïsme et il ne croit pas à l’application du communisme immédiatement au lendemain de la Révolution.
Du reste, tous les collectivistes sont communistes en idéal.
Le nommé Dufourg, prenant la parole, a combattu le collectivisme.
« On se plaint, a-t-il dit, qu’il y a trop de fonctionnaires, mais que sera-ce plus tard quand L’État sera le grand distributeur de la production et de la consommation.
Quant à la comptabilité, eh bien, je réponds qu’il faudra un Grand Livre d’une fameuse dimension.
Quant au produit intégral du travail, qui le fixera ? L’État, eh bien, avant qu’il ait fait son compte, les producteurs auront le temps d’attendre.
Après avoir critiqué la suppression de la monnaie et l’échange, il a dit qu’on ne pouvait pas niveler les besoins, puis revenant à la dernière réunion par le nommé Bernard qui a prétendu que la première des conditions pour l’homme était la recherche de son bonheur, il a réfuté les arguments de Bernard.
Parlant ensuite du rapport adressé par les Fédérations à Monsieur le ministre du Commerce et de l’industrie, il a critiqué ainsi ce rapport :
« Les Fédérations disent qu’il a été beaucoup fait pour l’instruction, eh bien, moi, je prétends qu’on n’a rien fait.
Le gouvernement d’après le rapport représente la société, c’est encore là une erreur, car le gouvernement ne représente que lui et il se moque bien de la société.
Dans le rapport il est dit aussi qu’il faut une législation internationale réglementant les heures de travail.
Pourquoi donc toujours s’adresser à L’État ? Pourquoi ne pas faire vous même cette loi ?
L’État a assez de penser à lui et il se moque bien de la société.
De tout cela il ressort que le socialisme pour moi c’est la négation la plus complète de la liberté humaine.
Le nommé Nachury a prétendu que dans la société actuelle on n’était libre que de mourir de faim.
Le nommé Bernard, répondant au nommé Dufourg, a cherché à prouver que ce qui faisait agir l’homme en toutes circonstances, c’était le besoin ; ce qu’il avait démontré, a-t-il dit, dans la dernière réunion.
Il a ajouté qu’au lendemain de la Révolution le communisme pouvait très bien s’appliquer.
Il a conclu en déclarant que le sol, les carrières, les habitations, les magasins, etc… étaient en quantité suffisante pour contenter l’espèce humaine ; que le socialisme ne pouvait niveler les besoins, par la raison que le le progrès marchait toujours, des besoins nouveaux surgissaient.
Ce qui fera la force du socialisme, a-t-il dit en terminant, c’est de savoir la vie de la vieillesse assurée et je crois qu’à l’heure actuelle c’est le plus grand de nos soucis ; il en est de même pour la jeunesse.
Une distribution de livres a eu lieu et la séance levée, chacun s’est retiré avec calem.
Lyon le 22 août 1886.
Le commissaire spécial.
Source : Archives départementales du Rhône 4 M 321
Lire le dossier : Les anarchistes lyonnais dans la Fédération nationale des syndicats ouvriers