Une série de perquisitions est lancée ce 21 novembre 1893 chez des anarchistes de l’Aube : Louis Morperrin, Charles Lécorcher, Ernest Pannetier, Paul Martinet , Gilbert Panas, (absent de chez lui ce jour-là, sa porte est ouverte par un menuisier requis par le juge d’instruction).
Comment expliquer un tel déploiement de force, des visites domiciliaires au petit matin dans le but de rechercher des « matières explosibles » ?
C’est que dans la nuit du 15 au 16 novembre, à minuit, une explosion se produisait rue Armeny, devant l’hôtel de la division du 15e corps d’armée à Marseille.
Une boîte de fer-blanc, d’environ trente centimètres, avait été placée dans la guérite creusée dans la muraille même de l’immeuble, attenante à la salle où se réunissent les plantons du général.
L’explosion a été si violente que la mur s’est lézardé du haut en bas. Dans la salle des gardes, tout a été détruit. Les vitres et les glaces ont volé en éclat dans la maison et les immeubles qui l’avoisinent.
Il n’y eut aucune victime. Un soldat qui était couché dans la salle des gardes, sur le lit de camp, n’eût même pas une égratignure.
A la suite de cet attentats des consignes sont adressées aux préfets par la ministre de l’intérieur, de faire procéder à des perquisitions dans un grand nombre de départements pour y rechercher des explosifs. La plus grande discrétion est exigée afin que l’opération ne soit pas ébruitée et perde donc de son efficacité.
Le préfet de l’Aube, demande, le 20 novembre, au procureur de procéder aux perquisitions dès le lendemain, reprenant au passage les consignes ministérielles : « Je vous recommande de procéder à ces mesures avec la plus grande discrétion, de façon à ce qu’elles n’aient pas d’autre publicité que celle qui doit nécessairement résulter de leur exécution ».
Le juge d’instruction délivre le jour-même trois commissions rogatoires transmises aussitôt au commissaire central et se conserve la perquisition chez Paul Martinet, considéré certainement comme le militant le plus en vue et demeurant à Sainte-Savine, Gilbert Panas habitant la même commune, le juge prévoit d’y aller ensuite.
Comme pour marquer l’importance de l’affaire, le procureur accompagne le juge d’instruction.
Toute cette escouade (juge, greffier, procureur, commissaires, agents) débarque chez les anarchistes au petit matin, fouille de la cave au grenier mais ne trouve pas la moindre trace de dynamite.
Mais les consignes de la Préfecture recommandaient aussi de saisir les « papiers et correspondances se rapportant ou se rattachant à des projets d’attentats », le juge repris cette extension de la recherche dans ses commissions rogatoires et dès lors tous les documents se rapportant à l’anarchie furent saisis : journaux, brochures, lettres.
Après lecture attentive dans le calme de son cabinet, le juge d’instruction ne trouva aucun écrit se rattachant à un projet d’attentat. La chanson « La dynamite » ne fut probablement considérée que comme une œuvre littéraire.
Dès lors, il ne lui restait plus qu’à délivrer un non-lieu, ce qu’il fit le 22 novembre 1893.
L’affaire avait été rondement menée !
Le Père Peinard donna son point de vue sur ces perquisitions pour rien : « Y a pas mèche de raconter par le menu tous les perquisitionnements qu’il y eu : y en a eu dans tous les patelins des Ardennes, à Lille, Troyes, Orléans, Lyon, Saint-Etienne, Saint-Chamond, Montceau les Mines, etc, etc.
Partout grand fiasco, nom de dieu !« ( 3 décembre 1893)
Si le juge ne trouva rien, il reste dans le dossier quelques pépites : des courriers particulièrement intéressants comme ceux de Sébastien Faure, le conférencier le plus populaire chez les anarchistes qui explique dans une lettre que face à la répression dont le mouvement est la victime (il est lui même en prison), « ce qui fait notre force, c’est précisément ce qu’ils appellent « eux » notre absence d’organisation, parce qu’ils ne conçoivent pas d’organisation sans maîtres, sans chefs, sans comité, sans direction unique »… « Si nous avions comme les autres partis un Comité directeur, ou des comités nationaux, régionaux ou locaux, la répression serait facile et efficace ». Un document qui coupe court à de nombreuses discussions sur la nature du mouvement anarchiste : il n’y a pas de comité directeur qui téléguiderait les actions.
Une autre lettre de Faure montre les difficultés pour organiser les conférences, le temps passé à mettre sur pied chacune d’elles, la question de se faire remplacer ou pas, toute une petite cuisine interne dont il serait difficile de se douter sans avoir lu ce document. On y comprend l’importance de ces correspondants locaux pour S. Faure, correspondants que l’on retrouve dans des listes qui furent saisies à divers moments sur Faure et qui firent l’objet de nombreux enquêtes policières que l’on retrouve dans un carton des Archives nationales (F/7/12506). La police devait penser qu’il s’agissait de listes de dangereux correspondants prêts à déposer des bombes, alors qu’il s’agissait de militants locaux chargés de retenir des salles et de coller des affiches.
Autre courrier particulièrement intéressant, cette lettre d’Octave Jahn, un des militants anarchistes les plus en vue et dont la vie fut un vrai roman d’aventure. Le militant exprime ouvertement son état d’esprit à un compagnon et ami.
Deux courriers montrent comment les compagnons procédaient pour financer certains projets que ce soit une imprimerie ou la création d’un journal : ils envoyaient une circulaire avec des listes de souscription à faire circuler. Point n’était besoin de passer par une organisation nationale structurée, les initiatives étaient décentralisées et horizontales.
Enfin dans tous les documents saisis, une brochure « Aux affamés » publiée en 1887, dont il est fort possible que ce soit le seul exemplaire conservé.
Une nouvelle preuve, si besoin en est que les dossiers de justice constituent une photographie à un instant T de l’histoire du mouvement anarchiste et qu’ils sont souvent une source de documents de première main donnant le point de vue des militants, bien loin des rapports de police, rédigés par des indicateurs motivés uniquement par l’appât du gain.